Chapitre 14

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Je m'appuie contre mon four, la main toujours crispée sur la boulette de papier qui suffoque entre mes doigts, la poubelle ouverte. Tout ce que je sens, ce sont les larmes affluer à mes yeux. Encore. Encore et toujours.

J'étais heureuse.

Heureuse.

On était censé se marier.

Avoir des enfants... Des enfants... 

À cette pensée, je déchiquète chaque parcelle de cette pseudo lettre.

Je me réveille difficilement. Ce mal de crâne est insoutenable. J'ouvre les paupières avec douleur avant de commencer à observer. Blanc. Tout est blanc. Je bouge le bras. Une infirmière arrive. Tout va trop vite. Elle me demande brièvement si ça va. Non. Non. Non, ça ne va pas. Jamais.
Mes bleus ont été comptés. Elle me dit que je dois lui parler. Non. Non. Si je tiens à la vie, comme elle dit, mieux vaut que je me taise. À cours d'arguments, elle baisse les yeux et se retourne pour partir. Arrivée devant le seuil, elle fait volte face et reviens vers moi.

- Je... Je... J'ai oublié un petit quelque chose, euh...

Patiente, je ne la presse pas. Ce qu'elle a à me dire doit être grave. Je suis habituée, ça ira. Ça va toujours.

Elle inspire un bon coup et se lance.

- Je suis au regret de vous annoncer que votre foetus est mort lors de votre chute. Je suis sincèrement désolée. Si vous voulez, nous avons une psychologue à disposition qui saura vous aider à remonter la pente.

Je ne dis rien. Je le savais. Ma seule raison de vivre, c'était mon fils. J'allais avoir un fils. C'était un garçon. Un garçon que j'aurai sûrement autant haï qu'aimé, rien qu'à cause du fait qu'il soit le fils de son père.

C'était le premier que je perdais. Je pensais qu'il n'y en aurait pas d'autre, que mon cher et tendre ne tuerait plus aucune de nos futurs raisons de vivre. Mais si. Il a fallut que si.

Peu de temps après, il a réitéré l'expérience. Je savais qu'il l'avait tuée aussi, alors je suis partie. Oui. Elle. C'aurait été une fille.

Une fille que j'aurais sûrement autant haï qu'aimé, rien qu'à cause du fait qu'elle soit la fille de sa mère.

Et maintenant, je suis stérile.

Parfaitement stérile.

Stérile...

Je lâche rageusement les restes de la petite boule de papier enfermée dans ma main et me remémore les quelques mots écrits dessus à la va vite.

Reviens.
Reviens, ou ils te feront revenir.

Ils ne me feront rien. Je n'ai plus peur. J'ai déjà beaucoup souffert, trop souffert, et ce n'est pas eux qui pourront me détruire, avec leurs menaces et leurs nombre de morts au compteur. Je n'en ai plus rien à faire. Thibault est fou. Ses potes aussi. Point.

J'ai mis dehors Julien et sa belle. Je ne peux plus me les voir. C'est gratuit, facile, petit, mais j'ai mal.

J'ai besoin d'être seule pour me reprendre. Me reprendre. J'en parle, j'en parle, mais jamais je ne le fais. C'est dommage, mais c'est ainsi.

GoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant