chapitre 5

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« T'imagines pas à quelle vitesse les choses peuvent changer. »

May


Cet après-midi-là, après le séisme, j'ai été traînée au bureau du principal adjoint. Aucun rapport entre les deux événements ; ils ne m'ont pas accusée d'en être responsable. (N'empêche, ce serait cool, comme superpouvoir.) Ils voulaient juste mettre en place mes cours de soutien.

À choisir, je préférais le séisme.

Heureusement, j'étais dehors quand il s'est produit, prête à m'asseoir sous un arbre pour manger mon sandwich toute seule comme une nullos que je suis. À la première secousse, j'ai disparu avant d'avoir eu le temps d'y penser ; et après, je n'ai pas vu l'intérêt de revenir.

C'est vrai, pour quoi faire ? J'étais assise toute seule. Sous un arbre. Quelle différence que je sois là ou non ?

Je dois dire que disparaître impunément, c'est assez génial. Et devinez ce qui l'est moins ?

Les cours de soutien d'histoire européenne.

Ça aurait pu servir que ma grande sœur voyante m'avertisse de cet épisode ; mais comme par hasard, ça ne lui est pas venu à l'esprit. Et j'ai été convoquée pendant le cours de géométrie pour aller discuter de « l'action à suivre » avec le principal adjoint.

Le cours ne m'a pas trop manqué, mais me retrouver dans ce bureau n'est pas non plus mon activité de rêve.

– Mayyyy, a dit Mr Corday sur le ton « je-ne-suis-peut-être-pas-dans-une-position-d'autorité-entièrement-légitime-mais-quoi-qu'il-en-soit-soyons-amis ». Alors. On me dit que tu aurais besoin de soutien dans l'une de tes matières.

– Vous avez des sources fiables ? ai-je demandé. Des dépositions signées ? Des témoignages oculaires ?

– Les notes de tes deux premiers contrôles.

Il a haussé un sourcil broussailleux. C'est dégoûtant, cette façon qu'ont les sourcils des vieux bonshommes de devenir tout gris et tout longs.

– Oh, ai-je dit. Les contrôles. C'est peut-être un complot contre moi ?

Mr Corday a remonté ses lunettes sur son nez.

– Concentrons-nous sur le problème à régler, a-t-il répondu en sortant les bulletins de l'année passée. Tes notes d'histoire en troisième sont excellentes. Rien que des A et des B.

Il a reposé le papier et croisé les mains dessus.

– Qu'est-ce qui a changé depuis ?

Je n'ai pas pu me retenir de rire.

– Ce qui a changé ? ai-je répété.

« Pour commencer, ai-je pensé, mes parents ont divorcé, on a déménagé, ma mère est stressée, mon père hésite entre devenir un hippie ou un cow-boy, mon foie se rappelle encore d'une certaine soirée tequila, et, oh, j'allais oublier, je peux disparaître instantanément sous vos yeux ! En dehors de ça, pas grand-chose de neuf. »

Au lieu de quoi je me suis mordu la langue pour arrêter de rire.

– Excusez-moi, ai-je dit. En fait, c'est simple. Ma prof d'histoire était vieille et à moitié aveugle. On trichait tous comme des malades. Tout le monde avait des A et des B. Si je n'ai eu qu'un B au contrôle final, c'est parce que j'ai eu la flemme de tricher.

Ce n'était qu'à moitié vrai, mais à moins que ce type soit télépathe comme June, je me fichais qu'il me croie ou pas.

Les sourcils de Mr Corday se sont rejoints comme deux grosses chenilles qui s'attaquent.

april may & juneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant