« Il s'avère qu'être télépathe a aussi ses avantages. »
June
J'avoue, je n'étais pas dans ma forme la plus pétillante ce mardi matin. J'étais restée les yeux ouverts de deux heures quarante-sept à quatre heures trente-trois la nuit précédente, à écouter tous ceux qui ne dormaient pas non plus. J'avais découvert que plus c'était calme, mieux j'entendais. Dans les couloirs du lycée ou autres, j'ai juste l'impression d'une cacophonie. Mais la nuit, quand toute la planète a l'air endormie, j'entends ceux qui restent éveillés comme s'ils me murmuraient à l'oreille.
Il y a des trucs sans intérêt – les voisins qui s'inquiètent pour leurs crédits et leurs remboursements – mais d'autres voix sont terribles. Il y a ce SDF qui hurle toute la nuit au carrefour un peu plus loin – un sac de nœuds incompréhensible, tellement enragé que je dois me fourrer la tête sous l'oreiller. Ça n'arrête pas le bruit mais, au moins, je me sens moins exposée.
Le seul truc sympa à mon réveil, ce matin-là, c'était l'idée de ma jupe rose.
Je vous explique. Je ne l'ai pas mise parce que c'était ma jupe préférée de tous les temps. D'accord, elle est chouette, mais le but était d'épater Mariah et Daphné et Jessica. Maintenant que je pouvais lire dans les pensées, j'allais pouvoir connaître l'opinion des autres sur toute ma garde-robe.
Il s'avère qu'être télépathe a aussi ses avantages.
April déteste Mariah et sa bande. Elle les appelle les Angela, à cause d'une certaine Angela qui se moquait d'elle en CM1 parce qu'elle avait des bonnes notes. J'ai essayé de lui expliquer que ces filles-ci n'étaient pas comme cette fille-là, et que ce serait sympa de garder pour elle les traumatismes de sa petite enfance, mais elle ne m'a pas écoutée.
– C'est des filles bien ! Elles font du bénévolat, ai-je ajouté en désespoir de cause.
– Bien obligé, m'a-t-elle répondu. Ça compte dans la moyenne de fin d'année.
Je ne me fatigue même pas à en parler à May. Pas besoin d'être télépathe pour savoir ce qu'elle en pense. De ce point de vue, elle est assez transparente.
Bref. April et May sont trop vieilles pour se rappeler l'effet que ça fait d'entrer au lycée. Elles ont oublié que c'est comme passer de deuxième en première division au foot. Et après le lycée, il y a la fac. Et si je ne me débrouille pas pour devenir populaire maintenant, autant que j'entre tout de suite au couvent et que j'apprenne à préparer la soupe pour les orphelins ou je ne sais quels trucs que font les bonnes sœurs, parce que ce sera cuit.
(Et aussi, je ne l'ai jamais dit à personne, mais chaque fois que je pense à l'entrée en fac, ça me stresse. Le genre d'angoisse qui donne des nœuds dans l'estomac. Je vais devoir quitter la maison ? Ma chambre ? Mes amies ? Ma mère ? Payer des milliers de dollars pour vivre sur un campus ?)
April et May ne savent pas non plus que le jour de la rentrée, j'ai déjeuné toute seule. Sérieusement, je mourrais si elles – ou n'importe qui – l'apprenaient. Je me suis planquée dans un coin super à l'écart, près du terrain de foot, derrière un arbre. Mais un arbre, ça n'est pas pareil qu'un ami, et rester assise dans la poussière à regarder tout le monde parler à tout le monde, ce n'est pas comme ça que je rêve de passer mes déjeuners pendant les quatre ans à venir. Merci bien.
Évidemment, c'était avant que je sois télépathe. Ça, ça a complètement changé les règles du jeu, et ça me mettait en position de capitaine de l'équipe de tous les joueurs.
En piste, les gars !
Il n'y avait qu'un détail entre moi et la popularité absolue : ma jupe rose.