3 ANS APRÈS
Trente minutes, vingt-sept secondes.
Je suis devant cette porte depuis trente minutes et vingt-sept secondes.
Trente minutes et vingt-sept secondes de réflexion intense pour arriver encore et toujours au même constat : je suis indécise.
Ce matin, j'étais décidée : j'allais tirer un trait sur mon passé chaotique et rejoindre cette fameuse association pour jeunes alcooliques.
Maintenant que j'y suis, je ne suis plus tout à fait sûre de moi. Ma détermination s'émousse et laisse place à des doutes.
Dois-je réellement rejoindre cette association ?
Il y a trois ans, j'étais au bord du gouffre. J'étais aveuglée. Je vivais dans le déni le plus complet. Je refusais d'admettre que je ne buvais pas raisonnablement. Pratiquement chaque weekend, je me réveillais après d'énorme black-out dans des endroits plus improbables les uns que les autres.
Il y a une fois où je m'étais réveillée chez des inconnus, en sous-vêtements. Je n'avais ni téléphone, ni clés, rien. "Ça va, y a pire" me dira-t-on. Je suis d'accord. Sauf que c'est une expérience plutôt effrayante, quand j'y repense. Essayer de filer en douce, avec un mal de crâne atroce, à moitié nue, sans savoir aucune idée de l'endroit où j'étais et aucun souvenir de la veille.
Le plus pathétique à cette époque, c'est que j'étais convaincue de ne rien faire de mal. Je n'avais que dix-neuf ans. J'avais commencé par de petits verres, par-ci, par-là ; je suis passée du plaisir au binge drinking puis à la consommation excessive.
Ezequiel avait vu que j'étais incapable de me gérer : il m'a donné un seul et unique avertissement puis il est parti sans chercher à me soutenir. Sans le moindre regret. Même si je lui en veux énormément, je pense que je le comprends, dans un sens. C'était trop dur pour lui. Trop dur de me voir me faire du mal.
Il y a des moments où je me dis que j'étais vraiment égoïste... Je me foutais en l'air et me fichais qu'Ezequiel en souffre indirectement. Pour être honnête, je pense que sans son départ, je n'aurai jamais eu mon déclic. C'est en le perdant que j'ai commencé à ouvrir les yeux. C'est ironique, n'est-ce pas ? S'il était resté, il aurait continué à souffrir en silence... et je serai tombée très bas. Peut-être même tellement bas que je ne me serai pas relevée.
Heureusement, je me suis réveillée à temps, si je puis dire. J'ai réalisé que j'étais à deux doigts de sauter à pieds joints dans la dépendance et j'ai freiné. J'ai mis du temps, mais j'ai freiné.
Cette période de freinage a été dure, vraiment dure. Et personne n'était là. Pas même ceux à qui je tenais. Alors cette association en vaut-elle vraiment la peine ? Est-ce que rencontrer des inconnus, plus ou moins anéantis par l'alcool, m'aidera à garder la tête hors de l'eau ?
Une chose est sûre, la décision que je suis sur le point de prendre sera décisive. J'ai intérêt à faire le...
– Salut.
Je me retourne brusquement et tombe sur un jeune homme métis, vêtu d'un sweat-shirt kaki. Mon regard est immédiatement attiré par ses dreadlocks qu'il a relevées en chignon. Il replace correctement la anse de son sac à dos en me fixant.
– Je peux t'aider ? interroge-t-il de manière avenante.
Je recule de quelques pas et il lève les mains en l'air en haussant les sourcils.
– N'ai pas peur. T'as l'air carrément à côté de tes pompes donc je voulais t'aider.
Il me regarde toujours. J'observe avec attention ses yeux cernés et injectés de sang qui me rappellent étrangement les miens.

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Hot-dog [Terminée]
Storie d'amore« Un été, c'était assez pour me faire baiser. Dans tous les sens du terme » Max a décroché un nouveau job : House Sitter. Pendant deux mois, elle surveillera la propriété d'un couple riche et sera logée, nourrie, blanchi à moindre frais à Miami. À...