Laure

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Dans le bus j'aime m'imaginer la vie des gens. Sont-ils heureux en ménage ? Sont-ils heureux tout court avec la vie qu'ils ont ? Et cette vie l'ont-ils choisis ou s'est-elle imposée à eux ? Si c'est le cas l'acceptent-t-ils ? Acceptent-t-ils de vivre en sachant qu'ils auraient pu avoir une toute autre vie ? Comment font-ils ? Je n'ai pas choisi cette vie, tout ce qui me tombe dessus. Et je n'ai pas choisi ma famille. Malgré tous les événements auxquels on a dû faire face je les aime. J'aime ma famille. Mais je n'aime pas les gens qui cherchent à fuir de cette famille à cause de la réalité trop difficile à digérer. Quand accepteront-ils et la maladie et la mort de leurs fille ? Quand seront-ils à nouveau comme avant ? Pour Charlie, pour moi et pour eux-mêmes. J'aime bien être dans le bus. Je peux réfléchir librement.

Charlie debout à côté de moi a son casque sur les oreilles mais je sais par expérience que si nos regards se croisent on se comprendra. Parce que c'est mon frère. Et là dans ce bus qui passe devant notre maison avant d'aller s'arrêter à l'arrêt, nos regards se croisent. Ils sont remplis d'inquiétude et de stupeur. On a bien vu tous les deux la même chose.

Le bus se stoppe et on en descend. On se dirige d'un pas assez rapide vers la maison. La voiture n'a pas bougé. Elle est toujours là, sous nos yeux. Nous savons tous les deux à qui elle appartient. Jeanne et Henry, nos grands parents maternelles. Ils ne nous rendaient plus beaucoup visites chez nous alors que sont-ils venus faire ici ?

Nous entrons et dans le salon trois paires d'yeux se posent sur nous. Soudainement l'enterrement de Barbara me revient en mémoire. Comme un flash je revois les larmes de grand-mère qui ne cessaient de couler sur son visage fripés par la vieillesse et la tristesse. Ainsi que les larmes toutes en discrétion de grand-père. Je ne l'avais jamais vu pleurer et j'en était resté figée. C'était tellement dur de les voir pleurer alors que je n'arrivais pas à laisser échapper les miennes depuis le jour de la mort de Barbara. Jeanne avait toujours été une mamie gâteau, attentionnée, proche de ses petits-enfants et beaucoup de Barbara. Henry était quant à lui un homme très discret et pudique, qui faisait ses mots-croisés en sifflotant et en gardant un œil protecteur sur nous.

Personne ne bouge. Les secondes passent et seul la musique qui sort du casque de Charlie pendu à son cou brise ce silence. D'ailleurs c'est le premier à bouger. Il arrête sa musique et s'avance pour saluer nos grands-parents. Je le suis. Timidement on se dit bonjour. Puis Charlie remet son casque avec sa musique et s'en va vers la cuisine. Seule face à eux, je prends mon courage à deux mains et me joins à eux en m'asseyant sur le canapé. Mais ce silence pesant est interminable.

"Je vais faire mes devoirs." Annonçais-je.

Devant l'escalier je m'arrête et me tourne vers eux et inconsciemment j'ajoute :

"Je suis contente de vous revoir."

Il n'y a aucune réaction, sur aucun de leurs visages. Je suis presque déçue. Mais au moment où je commence à monter les premières marches j'entends un discret :

"Nous aussi ma grande."

Je ne peux me retenir de sourire. Papy est le seul à m'appeler ma grande et c'est une preuve d'amour pour un homme aussi réservé que lui.

Les minutes passent et ils sont toujours en bas, dans le salon. Soudain des pas se font entendre dans les escaliers. On frappe à ma porte. Je vais ouvrir.

"Je peux entrer ?"

Grand père se tient timidement à l'embrasure de la porte. J'ouvre grand la porte et le laisse entrer. Il s'assoit sur le bord de mon lit et tapote la place à côté pour m'inciter à le rejoindre. C'est ce que je fais.

Je me sens très anxieuse soudainement. J'ai l'impression d'avoir peur de la conversation que l'on s'apprête à avoir. En même temps, je sais qu'il va me parler de Barbara. Personne n'aborde le sujet à la maison alors une boule d'angoisse me monte à la gorge. J'ai peur de fondre en larmes ou que la rage prenne le dessus.

"Comment vas-tu ma grande ? Demande-t-il.

- Ca peut aller.

- La situation n'est pas trop perturbante pour toi.

- Je la surmonte. C'est la seule chose à faire. Avouais-je.

- Tu es forte. J'ai toujours su que tu serais la plus courageuse malgré les épreuves de la vie." Déclare d'un ton solennel grand-père.

Les mots de grand-père me font monter les larmes aux yeux. Rarement il s'exprime ainsi. J'en suis extrêmement touché. Mais j'ai aussi l'impression qu'il y a un second sens à ses paroles. "Malgré les épreuves de la vie". Est-ce qu'il parle seulement de la mort de Barbara ou aussi de ce que la vie me réserve ? Sait-il quelque chose que j'ignore ?

"Comment ça va avec ta mère ?" M'interroge-t-il.

Je n'ai jamais eu une relation très fusionnelle avec elle, c'est le cas de le dire. Je regrette quand je me rappelle les moments heureux qu'elle passait avec Barbara, le temps qu'elle lui consacrait, l'attention qu'elle lui portait. Je me sens pitoyable d'être jalouse de ma sœur. Elle était malade et méritait toute l'attention possible de la part de sa mère. Grand-père le sait ça. Il sait tout de ma relation compliqué avec ma mère. On n'en parle pas mais je sais qu'il est au courant.

"Elle passe le plus clair de son temps au travail. Répondis-je.

- Elle fuit.

- Pourquoi ? Demandais-je.

- Suis-je le mieux placé pour répondre à cette question ?

- Elle fuit la maison à cause de la mort de sa fille. C'est compréhensible.

- Sûrement. Déclare-t-il énigmatique. Il faut laisser le temps au temps je suppose. La vérité finit par vous faire face un jour ou l'autre." Ajoute-t-il en prenant mon visage entre ses mains pour déposer un baiser sur mon front.

Je reste sous le choc de tout ce qu'il vient de dire. Je n'y comprend rien. Grand-père m'annonce qu'il va saluer mon frère et sort de ma chambre en refermant la porte derrière lui. Je ne saisit plus rien. Cherchait-il vraiment à me dire quelque chose où je suis en train de me faire des idées ?


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Le jour après la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant