20 ~ Vision

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Le sol est boueux et la forte odeur qui en émane est étrange, comme des vapeurs invisibles mais toxiques qui s'élèveraient de la terre mais également des ruines du village. Il ne me faut pas longtemps pour mettre un nom sur cette odeur, rien qu'à voir les plantes dénudées de fleurs mais solidement ancrées dans la terre, je comprends qu'il s'agit de Fleurs des Morts. La plante résiste à l'eau, seuls les pétales sont arrachés, comme si rien ne pouvait détruire cette mauvaise herbe. Je ramasse un pétale coincé dans la boue, sursautant lorsque ce dernier s'effrite comme de la cendre, avant de disparaitre dans le vent. Vraiment étrange.

Je ne devrais pas être ici, cependant je ne risque rien. L'eau s'est retirée et ne remontera que cette nuit et demain midi, ce qui me laisse largement le temps de déambuler dans les grandes allées désertes, jonchées de débris que l'Océan n'a jamais pu emporter avec lui.

C'est si calme. Seul le bruit de mes pas dans les flaques résonne dans la vallée, me donnant un sentiment de solitude extrême mais aussi d'apaisement. Contrairement à ce que j'avais pu penser, je me sens bien ici, loin de tout.

Je prends de nombreux clichés, ignorant les formes poussiéreuses qui virevoltent autour de moi et qui n'apparaissent que sur mon appareil. Tout ce qui est invisible ne me fera pas de mal tant que je ne leur en fais pas moi non plus. C'est ce que je me répète sans cesse à mesure que mon écran se brouille de poussière, si bien que je finis par l'éteindre. Je suis seule ici et c'est seule que je m'enfonce dans le village, bientôt surplombée par les ombres des plus hautes batisses.

Vingt ans après il m'est facile de deviner le plan du village rien qu'à en voir son ossature dénudée. Là se trouvait une école étant donné les tables et autres pupitres qui se sont écrasés contre un mur, lequel a sans doute cédé au fil du temps car je les vois de mes propres yeux, empilés les uns sur les autres et couverts de mousse et d'écume lorsqu'ils ne sont pas broyés et dispersés et à présent ramené vers le fond de la classe par la pression des eaux se retirant. L'Eglise est toute aussi méconnaissable, seul son clocher presque intacte culmine encore fièrement et dépasse partiellement de l'eau lors des crues. J'imagine le nombre de gens qui étaient dedans et qui y sont resté piégés. Comme un peu partout dans ce village d'ailleurs. Seuls ceux qui étaient à l'arrière ont pu s'en sortir, mais à quel prix ?

Je m'avance vers une petite maison faite de pierre, coincée sous les débris d'un ancien Hôpital tout en faisant attention à ne pas tomber. Des restes métalliques de lits d'hôpitaux sont enfouis dans la terre et ressortent comme des pieux tranchants, dissuadant les pilleurs d'entrer. Sauf que je ne viens pas ici pour piller. Je ne sais pas pourquoi je suis ici, mais je devais en ressentir le besoin.

A l'intérieur de la maison je suis obligée de couvrir mon nez avec ma manche et de mettre ma capuche. L'odeur de pourriture et de décomposition du bois est si acide que je manque de vomir, frissonnant également lorsque le plafond semble s'égoutter au-dessus de ma tête, témoignant du récent passage de l'Océan. Chaque goute qui me tombe dessus me pèse. Tout ici est lourd, les murs robustes et féroces, les meubles en chêne ou tout autre bois impossible à détruire. Je me sens si petite tout à coup et si frêle que je me sens obligée de reculer, mon dors heurtant de plein fouet une poutre alors qu'au même instant la sirène retentit à l'extérieur.

Mon cœur manque d'exploser et alors que je m'apprête à sortir, un cri me glace le sang. Derrière moi il y a un couple, dans une somptueuse petite maison de pierre. L'homme semble faire une valise alors qu'au dehors il y a du mouvement. La femme elle maintient son bébé dans ses bras du mieux qu'elle peut tandis que la lueur du jour devient pénombre. La petite maison tantôt chaleureuse est voilée d'une ombre froide. Dehors des gens hurlent, pourtant il n'y avait personne.

A virus called PhantomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant