p.18 › une histoire de banane (dans tous les sens du terme).

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J'ai toujours aimé les bananes. Milkshake, jus, glace, yaourt ; la forme m'importe peu. Mais à mon âge, il est quasiment interdit – ou du moins proscrit – d'en manger ne serait-ce qu'un bout en présence d'un adolescent. C'est vrai : cela ressemble tellement à l'engin masculin... De quoi exciter les plus stupides d'entre nous. J'imagine que c'est déjà arrivé à tout le monde, à cette période bénie, de devoir essuyer des moqueries et des gloussements pour la simple et bonne allure de son dessert. Au départ ça commence avec des rires badins. Puis des ricanements. Des messes basses. Mais cela ne s'arrête pas là : les gens adorent colporter des rumeurs, des rumeurs salaces, surtout.

L'entrée au collège m'a en partie été difficile pour ça : le newbie à la banane. Ce n'était pas qu'un simple surnom qui revenait, mais des appellations, des intoxs qui s'éparpillaient entre les élèves les plus bornés. J'était devenu, pour un moment, la tapette du collège. J'avais onze ans. Puis Ash s'est vite interposée et tout est bien qui finit bien.

Assis en terrasse du Café Yéti, je n'ai pas envie de finir mon smoothie. La pluie me déprime, rajoutés à cela les effluves de banane qui me retournent l'estomac. Je repense à mon enfance. Cette semaine m'a trop fatigué pour que je puisse envisager autre chose que le passé. Et puis la pluie, c'est mélancolique.

Il n'y a plus de place à l'intérieur. Syl, Mace, Ana et moi avons dû nous restreindre à de simples chaises posées sur l'avant du bâtiment, en plein dans le froid. C'est grâce à Mace que nous sommes là. Enfin : grâce, à cause... tout est relatif.

« Ça ne doit rien changer pour l'équipe, vous en êtes conscients ?

La Rousse est juste venue s'aérer. Elle ne nous est pas d'une grande utilité, si ce n'est de me mettre mal-à-l'aise.

— Ouais. J'arrête de traîner la patte, je bouge mon cul et je remonte les chronos. J'ai compris, débite Sylvester avec une froideur que je ne lui connaissais pas.

Il est au courant pour mes sentiments envers Ana : il ne s'y attendait pas.

— Et puis... En dehors des Pinks non plus, ça ne doit pas changer.

Je ne sais pas s'il a pris connaissance des évènements de la fête. Peut-être, peut-être pas... Ses yeux de jade me scrutent sans que je puisse déceler son opinion. Du haut de mon mètre soixante-dix-huit, j'essaie de me montrer imposant. Lèvres closes, sourcils qui plissent. À cause de l'averse qui se débat juste là mes cheveux sont trempés et rabattus sous ma capuche. Je renifle de mécontentement.

— Ouais, Ana a raison, marmonne Mace en tentant de se montrer convaincant.

Toujours rien de ma part : les deux témoins de ce duel de regard me dévisagent.

— Il n'est pas de mon ressort de changer les choses. Voyez plutôt ça avec lui.

— Oh arrête tes conneries deux minutes, Kyrel... grommelle Sylvester en levant les yeux au ciel. La mauvaise foi c'est fini, à dix-huit piges.

— Car du haut de ta connerie tu penses pouvoir m'apprendre la vie ? je riposte. Ah mais mon petit, tu es complètement à côté de la plaque...

— Ça fait longtemps que je sais que tu ne m'aimes pas. Ça se voit rien qu'à ton comportement : tu n'es pas très subtil, tu sais.

Il fait craquer ses phalanges et un nuage de vapeur masque son nez.

— Mais maintenant... je comprends pourquoi. Tu aimes ma copine, ça peut se comprendre. Je fais de la merde pour l'équipe, ça aussi. Je vais tâcher de m'améliorer, souffle-t-il. Et sache que Cesar l'a aussi remarqué, ton mépris à deux balles. Il culpabilise pour rien à cause de toi. Je ne te demande pas de l'apprécier, mais être sympa avec lui ne serait vraiment pas de trop. Surtout venant de quelqu'un d'aussi idolâtré et censé se comporter comme un exemple à prendre.

— Ok, ok... Un flipper Sylvester, ça te branche ? s'empresse d'ajouter Mace en se levant. Bien sûr que ça te branche. Allez, vient à l'intérieur... »

Stoïque, le jeune homme acquiesce et quitte la terrasse sans bruit, suivi de mon meilleur ami. Lui il grimace : il n'aime pas les conflits.

Anastasia m'observe du coin de l'œil. Elle a toujours une dent contre moi, juste moins profonde que la dernière fois. Cette fille est une véritable girouette.

« Ah Dieu, mais quel connard ! je lâche en laissant tomber ma paille.

— Kyrel, ne...

— Je t'en prie Anastasia, ne me parle pas comme si j'avais huit ans. Tu ne vaux pas mieux qu'une pauvre adolescente dévergondée quand tu fais ça.

— Et tu t'étonnes que je ne veuilles pas sortir avec toi ? marmonne-t-elle. Tu es méchant avec tout le monde, même avec ceux qui essayent de t'apprivoiser. Cesar, par exemple : c'est un gars bien et pourtant tu le repousses, dit-elle en se mordillant la lèvre. Je ne te comprends pas.

— Les gens ne sont pas gentils avec moi. Ils vont dans mon sens pour ne pas s'attirer de problèmes. C'est tout.

— Ça c'est ce que tu crois. Combien d'amis t'es-tu fais depuis que tu bats tout le monde dans l'équipe ? »

Zéro. Je connais Mace depuis la primaire, Maé et deux trois autre gars grâce au club de natation, et encore : je ne leur parle pas tant que ça. Mais Roshe ? Je ne peux pas lui avouer cette rencontre. Notre relation est bien trop bizarre pour en être une alors, ployant sous sa remarque, je me tais.

« Les gens ne sont pas tous comme tu les imagines. Certes il y a beaucoup de profiteurs, mais il subsiste aussi quelques âmes bienveillantes. »

03:39

Crounch crounch dans l'obscurité. Une fenêtre est ouverte sur mon profil facebook, une autre sur youtube. Mon ordinateur bouillone sur mes genoux, soulignant le trait de parole nasillard d'une vidéo que je ne regarde même pas. Je n'arrive pas à dormir.

Lassé, je retourne sur le réseau social. Une nouvelle publication apparaît sur mon fil d'actualité :

Sheldon Runke a posté un nouveau statut.
" On est deux ce soir. Le fantôme et la poule mouillée "

Je grince des dents en lisant ces mots : il sait que je suis connecté. Et cela sonne comme un reproche. Je l'évite depuis trois jours et il ose me traiter de froussard. Je n'aime pas ça. Surtout venant de sa part...

Vexé, je sors de mon lit et ouvre mon armoire en quête de pyjamas. Tel est mon geste rageur, une boîte de mouchoirs posée en équilibre sur le meuble me tombe dessus. Je pousse un juron, puis la regarde. Échouée à mes pieds, pensif. De toutes manières il s'attendait à quoi ?

Mon ordi est encore allumé. Tout le monde dort. Ça fait longtemps... Enfin je veux dire : la dernière fois remonte il y a un peu plus de deux semaines. Alors, contrit de me laisser ainsi attraper, j'empoigne cette foutue boîte et tire les rideaux. Espérons que personne ne se prenne d'envies pressantes pour les trente minutes à venir.

Mais je vous assure que se masturber en étant aussi distrait par Roshe n'était clairement pas une bonne idée.

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