Je me suis endormi. Réveillé, rendormi. Puis réveillé. J'ai respiré, me suis redressé, et regardé le ciel que m'offrait ce bon vieux vasistas.
Les matins m'apaisent comme les alarmes énervent, car pour un instant mes sens se retrouvent en sourdine. Et le temps d'un battement, je repense au message de la veille. Sheldon Runke tu m'intrigues. Et je vais te trouver, cet après-midi.
D'un pas titubant je foule la moquette de ma chambre, tâchée de motifs plus ou moins foncés par endroits – elle n'a pas survécu aux paquets de chips égarés lors de la dernière réunion des Pinks. À l'heure qu'il est, leurs carcasses doivent sûrement traîner sous mon lit. Très loin sous mon lit.
Je trébuche sur le courant de linge sale qui s'écoule de ma chaise de bureau. Je ne comprends pas pourquoi les romans commencent toujours de la même façon, piétinant d'entrée de jeu votre semblant de dignité : on casse le réveil, on sort du lit. Vous êtes en caleçon, mère nature vient juste de trancher qui du chacal ou du poney viendra habiter votre haleine pendant les trois prochaines heures, et l'esprit des Jackson Five vient prendre possession de vos cheveux sans que l'on leur ait rien demandé. Je crois que j'aimerais être un personnage de livre, parfois. Quitte à me parer d'un brun ténébreux et plaquer des minettes contre des casiers, je tuerais pour avoir une de ces chevelures caoutchouc qui se remet en place toute seule.
« Yo, Flamant-Rose, glisse mon père par-dessus son journal.
À peine suis-je descendu qu'il est déjà au taquet. Derrière ses lunettes de bon professeur universitaire, ses yeux vont et viennent entre les annonces automobiles de la gazette régionale. Depuis quelque temps, il s'est mis en tête de me trouver un surnom débile à chaque petit-déjeuner, démonstration peu subtile de son dégoût envers mes cheveux. C'est trop féminin, c'est incorrect, indigne, même, d'une ville de la réputation de Blurdale. Je crois qu'il a peur que l'on me traite de tapette jusque dans l'enceinte de son université – les Pink Shark ont leur petite réputation, même au sein des instituts étrangers à Abrahams. Non pas par compassion, mais pour son simple et bon honneur d'homme respectable. Alors vraiment, il ne peut pas les blairer.
— Yo, Cachalot.
— Tu m'appelles encore une fois comme ça et tu peux dire au revoir à ta bagnole. »
Je lève les yeux au ciel : il ne fallait pas me tendre une perche. Les plis de son front montent jusqu'à son crâne à moitié dégarni, désépaissi par la cinquantaine, et dont les golfes reflètent la lueur orangée de la suspension de la salle à manger. Mon père n'est pas un homme qui apprécie la jeunesse ; le comble, pour un professeur d'université. Son attachement pour les valeurs conservatrices de la région a fait de lui un être peu conciliant envers les "déviances" que notre âge peut incarner. S'il enseigne, c'est seulement pour tenter au mieux de redresser cette génération qu'il considère comme décérébrée.
Il me faut à peine trois minutes pour m'habiller, me coiffer, manger, le tout sans adresser la parole au reste de la famille. Mon pantalon est vite mis, ma crinière – presque – démêlée, et ma barre de céréales rapidement ingurgitée, tandis que Jil somnole encore dans son lit et que ma mère fait vrombir la machine à café. Je n'ai pas le temps de prendre mon temps, moi : l'entraînement m'attends.
∀
L'avantage de faire partie d'une équipe sportive, c'est d'avoir certaines de ses journées banalisées. En vue du prochain meeting, High Abrahams a décidé de nous libérer la matinée du mardi afin de nous entraîner. Et étant donné que la plupart des cours de cette heure-ci ne me servent à rien – si ce n'est de somnifère pour le restant de l'après-midi – cela me convient plutôt bien.
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stratosphère.
Novela JuvenilEt puis celui qu'on appelait Roshe est revenu, bourré de fautes et de mensonges. Kyrel ne l'avait jamais vu : il ne s'intéressait pas à ce genre de gamins. Alors pourquoi lui avoir répondu ?