p.27 › des poneys et des bisous.

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Contrairement à l'idée que je me faisais de lui, Roshe n'habite pas à Hershel. Quartier bourge et on ne peut plus chrétien, les trois quarts d'High Abrahams viennent de là-bas. Mes parents sont loin d'être riches, mais nous aussi nous y vivons. C'est un peu devenu l'emblème de notre établissement : les meilleurs viennent d'Hershel et pas d'ailleurs.

Non, Roshe habite à seize minutes d'Hershel. Si en été la ballade doit être fort agréable – des sentiers qui filent derrière les pavillons en bordure de la forêt – en hiver, c'est une toute autre histoire. Et je peux vous assurer qu'entre les chemins boueux et les impasses verglacées, mes baskets les ont senties passer, ces seize minutes.

Il est huit heures du matin. D'ordinaire je ne me lève jamais avant midi le samedi, mais je dois avouer que la réception de mon bulletin scolaire a  quelque peu contribué à mon lever anticipé. Disons qu'affronter les beuglantes de mon père durant toute la matinée ne fait pas partie de mes activités préférées.

« Lescault m'attends, j'ai pas l'temps de ranger le p'tit dèj. Désolé ! »

Lorsque j'arrive au 6 Holly Hill Street, je suis avant tout frappé par la petitesse de la maison : de plein pied, le jardin est dans un sacré sale état. C'est comme si personne n'y foutait jamais les pieds. Des mauvaises herbes, une balançoire qui se meurt dans un coin, et des jardinières laissées-pour-compte au pied du porche. Rien de très attrayant, pour être franc.

« Je sais, je sais... Bon, à plus ! »

En retrait du portillon, j'essaye de capter les bribes de français qui s'échappe de la baraque. Aussitôt la dernière phrase prononcée, une silhouette enroulée dans une parka trop grande apparaît à la porte d'entrée. Elle dévale le petit chemin, pousse le portique. Sans se préoccuper de savoir s'il est bien refermé, elle se faufile à l'extérieur et ne me remarque même pas.

« Roshe ?  je l'interpelle.

Il fait volte-face.

— Kyrel ! Je pensais pas que tu viendrais pour de vrai... » s'extasie l'énergumène en me voyant.

De son pas légèrement pressé, il rebrousse chemin. Tout sourire, il me conduit jusqu'à sa voiture – que je commence à connaître – et allume le moteur. Mais avant de démarrer, ses yeux glissent sous mon siège :

« Des vans ?

— Hm ?

— On est en hiver. On va voir des chevaux et il pleut.

Et ?

— T'es con ou tu le fais exprès ?

Je lui donne un coup d'épaule effronté et il se met à rire. Il m'attrape le bras et nos yeux se croisent ;

— Tant pis. Je te ferai un petit parcours spécial "gens-stupides-et-pas-pragmatiques" pour que t'évites de salir tes pompes. » il murmure d'un ton affectueux.

Je roule des yeux et redresse mon siège, la bouche plissée dans une moue. Content de lui, Roshe recoiffe les mèches qui lui tombaient dans les yeux et enclenche la marche-arrière pour sortir de sa place.

Nous bavardons sur tout le chemin menant aux écuries. Comme d'habitude en bons amis, sauf que quelque chose s'est légèrement transformé entre nous : une sorte de complicité, plus personnelle, des sourires plus prononcés, des regards appuyés. Mes fossettes me chatouillent, mon ventre se distord. Une sensation de volupté que je commence à peine à savourer.


« Dis-moi que c'est une blague.

— Ky, je t'avais prévenu. »

stratosphère.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant