Cela fait déjà une minute que le moteur s'est arrêté. Pourtant je reste assis sur mon siège encore un instant, à observer la piscine du complexe. Le soleil vient cogner contre la façade avec douceur, projetant des éclats de lumière un peu partout sur le parking. L'atmosphère est différente de d'habitude. Un vent de vacances, de fin d'aventure, le désert qui emplit chaque recoin du complexe et qui me rappelle que nous ne sommes plus vraiment au lycée. C'est à la fois étrange et agréable. Bien qu'il nous reste encore une semaine d'entraînement à purger, l'odeur de la fin est bien plus pesante qu'à l'ordinaire. Et c'est pas moi qui vais m'en plaindre.
J'ouvre la portière et fait tournoyer une paire d'écouteurs entre mes doigts. Je n'ai pas envie d'adresser la parole à qui que ce soit – de toutes manières ça m'étonnerait qu'il y ait foule : je suis arrivé trente minutes en avance.
Je marche jusqu'au bâtiment. Le pas rythmé par un rock dont la mélodie n'a rien d'extraordinaire, mais qui a au moins le mérite d'être entraînante. Ma paume rencontre les portes battantes, mes pieds crissent sur le carrelage. La dame de l'accueil, café à la main, me jette un regard torve alors que je passe la tête à l'intérieur du hall, comme si je venais l'interrompre dans son petit rituel matinal et sacré.
« En voilà déjà un, maugréé-t-elle à l'intention d'un homme occupé à astiquer sa perche de maître nageur.
L'homme ne lui octroie même pas un regard.
— Allons, allons, Beth, intervient une deuxième voix. Sous tes airs de vieille mégère, je suis sûre que ton cœur se pince à l'idée de ne plus revoir la bouille de mes requins. Enfin des plus vieux, bien entendu.
Barett. Les deux pieds enfoncés dans ses claquettes en caoutchouc, il fait son apparition dans le hall. Comme d'habitude sa barbe taillée au centimètre se meut en un sourire taquin, un sourire qu'il n'adresse qu'à ses nageurs préférés. Je parle d'habitude ; pour moi, en tout cas. Je sais qu'il m'adore, alors ce sourire là je ne le connais que trop bien. Mais quelque chose me titille... Et si ce sourire voulait dire autre chose, pour une fois ? À la manière qu'avait eu mon père de sourire après l'incident du bal, un sourire qui n'aurait de sympathie que l'apparence. À cette pensée, je me renfrogne et me dirige vers les vestiaires.
— Hep hep, toi là, m'apostrophe le coach sans se départir de son rictus. Viens sur le bord, faut qu'on cause. »
Beth lève les yeux au ciel, désapprouvant l'idée d'aller s'entretenir près des bassins encore tout habillé.
Sans un mot, Barett et moi traversons les vestiaires. Prenant quand même le temps d'enlever mes baskets, je le rejoins sur le bord et me place face à lui, les bras croisés et le regard dirigé vers mes pieds. Même s'il est plus petit que moi, j'ai l'impressions d'avoir régressé en un Kyrel de six ans et demi qui attendrait de se faire réprimander.
« Tu sais Kyrel, je suis très fier de toi, commence-t-il d'un ton léger.
Je continue de fixer mes orteils.
— Bon, il y a déjà eu deux ou trois nageurs meilleurs que toi dans toute l'histoire de cette équipe de natation – et Dieu sait qu'elle existe depuis longtemps, c't'équipe – mais je ne les ai pas connu. Du moins pas en tant que coach. Alors que toi... (il s'arrête un instant, cherchant ses mots) Toi je te connais, et je suis très heureux de t'avoir connu. Même si tu n'es pas la bestiole la plus commode ni la plus humble que je connaisse, tout le monde t'apprécies, moi y compris. Et pas seulement pour ton talent : chacun te respectes pour une raison différente, mais je sais que la plupart admirent ton courage.
Je ne peux empêcher un rire jaune de percer à travers mes lèvres. Mon courage ? Effectivement, s'enfuir du bal de promo était un acte d'un héroïsme tel que moi-même je ne m'en remets toujours pas.
VOUS LISEZ
stratosphère.
Fiksi RemajaEt puis celui qu'on appelait Roshe est revenu, bourré de fautes et de mensonges. Kyrel ne l'avait jamais vu : il ne s'intéressait pas à ce genre de gamins. Alors pourquoi lui avoir répondu ?