p.47 › préambules.

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« Bien dormi ?

Penché au-dessus des plaques électriques, je décolle les bords d'un œuf au plat. D'un jaune presque uniforme, des bulles se forment à sa surface et se cognent contre la spatule.

— Je crois, marmonne-t-il.

Dix heures sonnent dans la cuisine d'Ashleigh. Cela fait trois heures que je suis réveillé, que j'ai vu Eavl manger ses miel pops, enfiler ses chaussures et se faire emmener à l'école par ma sœur. Appuyé contre le plan de travail, je leur ai tenu compagnie tout en leur préparant des sandwiches. Pour un instant ce fut comme si j'étais pris dans l'effervescence des lundis à Chicago : loin de Blurdale, loin de mes parents, loin de mes emmerdes.

— J'aime pas les œufs.

Jusqu'alors loin de moi, les mains de Roshe viennent se poser sur mes épaules. Fraîches, rêches ; dans un frisson il embrasse la base de mon cou puis observe la poêle.

— Qui t'a dit que je le préparais pour toi ? je rétorque du tac-au-tac.

Il fronce les sourcils. La lumière qui transparait à travers la verrière se déverse sur la table, en plein sur une carafe d'eau. Projetant des éclats sur les murs, elle souligne les écailles formées par la peinture ainsi que les étagères ployant sous le poids des épices.

— Ah ouais, je vois le genre..., il rumine en tirant une chaise vers lui.

Il s'assied. Les gestes témoignant d'une labeur que je ne lui connaissais pas, il fair rouler les muscles de son dos et esquisse une grimace.

— Ça va ?

Son t-shirt lui tombe mollement sur les reins, comme s'il n'avait pas assez de chair pour le tenir correctement. À la place, le col trop large du vêtement lui découvre les trapèzes et laisse entrevoir ses aisselles. Il est sacrément maigre.

— Qu'est-ce que tu veux à la place ? je surenchéris.

Il a dû se faire un claquage la nuit dernière.

— Je croyais que l'œuf n'était pas pour moi ? il rétorque d'un ton las.

— Il faut que tu manges. Regarde ta dégaine, c'est...

Plus vif que ce dont je l'en aurais cru capable, il fait-volte-face. À califourchon sur son siège, son regard volète dans le mien avec une lueur aussi suffisante qu'horripilante.

— Je n'ai pas besoin d'une nutritionniste, merci.

— Ce n'est même plus du nutritionisme à ce stade. C'est juste évident..., je soupire un brin exaspéré par sa tête de mule.

Nutrition. Apprend à parler.

— Roshe ! je m'exclame en faisant tomber la spatule. Je te demandais juste ce que tu voulais bouffer. Pourquoi t'es toujours obligé de foutre ta mauvaise humeur sur le tapis ?

— J'y peux rien si tu baises comme un rhinocéros. » feint-il en désignant son dos.

À cet instant précis, j'ai envie de l'étrangler. Je ne sais pas quelle mouche l'a piqué lorsqu'il était petit, mais il a un sacré don pour toujours tout gâcher.

Remarquez, j'avoue l'aimer un peu pour ça. C'est vrai : sans son caractère de merde et son dédain de Mr Je-sais-tout, on s'ennuierait vachement.

Nous repartons vers quatorze heures. Déprimés à l'idée de quitter ma sœur, nous filons sur le bitume sans s'attarder sur le fait que nous soyons en train de sécher les cours. De temps à autre, Roshe se tortille sur son fauteuil et je lui raconte des anecdotes sur mon enfance. Silencieux, il écoute les fugues de ma sœur, mes déboires en tant que piètre joueur de football et les histoires de mes exs sans broncher – ou presque lorsque je lui parle de Brooke. Je crois qu'il n'a toujours pas digéré Anastasia – et c'est peu probable qu'il le fasse un jour.

stratosphère.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant