p.40 › torse arc-en-ciel.

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Lorsque j'ai appris que Roshe était borderline, je n'ai pas réagi : j'avais deviné. Ma grande sœur avait fait de  l'hyperémotivité lorsqu'elle était enceinte. Une sorte d'ultra susceptibilité qui la poussait à réagir au quart de tour, et bien que cela se soit tassé au fil des années, j'ai toujours gardé en tête les symptômes qui pouvait s'y ajouter.

Relations instables, anxiété envahissante, sautes d'humeur soudaines et intenses pouvant aller jusqu'à des accès de colère imprévisibles, peur panique de l'abandon, profondes déprimes pouvant conduire jusqu'à des actes auto-destructeurs comme l'abus de médicaments, une conduite dangereuse ou, pour ce qui était dorénavant son cas, des tentatives de suicide. Voilà le tableau dépeint par les sites portant sur le sujet.

Son père me l'avait confié sur le seuil de l'hôpital. Dans un murmure, il m'avait intimé qu'il en était la cible depuis l'adolescence. Nakad aussi, ce qui laissait à penser qu'il s'agissait d'un "trait de famille". Mais depuis toujours Roshe y était plus sensible, basant sa réputation sur son instabilité et sa bizarrerie légendaire, comme si les entretenir lui permettait de se démarquer des autres.

Et à force, cela lui avait joué des tours : l'affaire Cesar, par exemple. Et puis Nakad qui s'était toujours efforcé de ne pas faire d'ombre à son frère, avait fini par s'en émanciper. Des relents rancuniers, peut-être. La rancune d'avoir toujours paru plus fade, plus terne, moins déjanté que Roshe. Il avait alors vu dans leur mère une occasion de s'affirmer, d'apprendre la vie de son côté. Alors il était parti.

« Un café, monsieur ? »

Je me réveille en sursaut. Penchée sur moi, une blondasse me fixe avec ardeur. Moi qui pensais m'être assoupi pour quelques minutes, je viens de passer cinq heures recroquevillé sur les banquettes de la salle d'attente de l'hôpital.

« On a aussi du chocolat chaud, si vous préférez... »

Je cligne des yeux. Au dessus-de moi un néon crépite, des roues coulissent sur le lino. Et si j'en crois l'obscurité du ciel à travers les fenêtres, il est à peine six heures du matin.

« Vous n'avez pas mal au dos ? Depuis tout-à-l'heure je vous observe et... »

Je traîne un regard morne sur la femme accroupie en face de moi. Tout de blanc vêtue, elle ne doit pas dépasser la trentaine. Ses globes oculaires sont très grands et donnent à son visage un aspect hibou-esque. Les membres encore engourdis, je me passe une main sur la face. Si seulement elle pouvait arrêter de me dévisager alors que je viens tout juste d'émerger...

« Vous me regardez dormir depuis combien de temps ?

Elle semble gênée par ma question. D'un squat puissant elle s'élève et croise les bras.

— Excusez-moi, je ne voulais pas vous importuner..., murmure-t-elle d'une voix claire.

— Pas grave, je réplique en m'étirant le dos. Pouvez-vous me dire si l'homme qui était avec moi est toujours dans la chambre 208 ?

Bien que je me sois mis en pause pour quelques heures, je sens déjà le stress gagner mes sens.

— Il y a passé la nuit. Malheureusement, vous ne pouvez pas encore y...

— Et comment va Roshe ?

Décontenancée, la jeune femme ouvre la bouche sans rien dire. Puis se rappelant qu'il s'agit du patient de la 208, elle déclare avec assurance :

stratosphère.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant