Mamie: Maguy viens ici!
J'étais assise près de tata Aida et me suis levée doucement pour la rejoindre. Elle m'a serrée dans ses bras. Elle sentait bon, comme d'habitude.
Mamie: viens là mon enfant, tu m'as manquée tu sais. On va rentrer tout de suite. Où sont tes bagages?
Moi: Avec Tata Aida.
Mamie: Aida donnes moi ses bagages stp. Tu as maigri ma petite Maguy. Et c'est quoi ses marques sur ton dos?
Moi: c'est rien mamie. C'est vrai qu'on va rentrer?
Mamie : Oui, mais dis moi d'abord qui t'a fait ça.
Mamie Maguette: Yow Anta do lakkeu luniou deggeu? Bo nieuwer keur diambour kagne, meuna lakkeu luniou kham. Yene daal ay toubab nguene diapper sene boppu dalleu. Mane deh warouna nak, mane mi dieye.. (Anta, ne peux-tu pas parler une langue que tout le monde comprend? Si tu viens chez des gens, tu dois parler une langue compréhensible. Vous vous prenez trop pour des blancs. Tu m'étonnes.)
Mamie Anta: Damako done lathier lu deff yaramam bi ni? (Je lui demandais ce qui lui a donné ces marques sur son corps.)
Mamie: Ecole arabe ba la. Oustaz ba deh, doreh rek la meune. Liiii, keneu meussuko guiss. Motakhit nenako mu bayi. Khawna ko ray mom. (C'est à l'école coranique. Le maitre passe son temps à frapper les enfants. C'est la raison pour laquelle elle n'y va plus. Il a failli la tuer.)
Mamie: mais lolou warokowone setane. Kholal lu yaramam bi melni luniou firir ni. Kokou foumou dekkeu ? Dama fay dem. Li dou yone wayy. (Mais tu n'aurais pas du le laisser faire. Ou est-ce qu'il habite? Je vais le voir, ce n'est pas normal.)
Mamie: Teffess deh la dekkeu. Khàna nak do diouguer santessou di dem ba fofou pour ay doorou khaler. Wakh nako lima koy wakh teh deggeu nama. Bu lolou wesso, Maguette du meuna diouguer keur gui. Lima koy diangual dafa beuri teh dafa khawa tawat dall temps yi. (Il habite à Tefess. Tu ne feras surement pas le trajet de Santessou à Tefess, juste pour demander des comptes. Je lui ai déjà parlé. A part ça, Maguette ne bougeras pas de cette maison. J'ai plein de choses à lui apprendre et elle est malade ces temps-ci.)
Mamie: lolou dina leer. Duma fi diouguer sans mom. Wakh dji moy beuri rek. (Je ne bougerais pas d'ici sans elle.)
Elle s'est tournée vers moi et m'a dit:
Monte dans la voiture ma chérie. J'arrive tout de suite.
Je ne me suis pas fait prier. J'ai couru aussi vite que mes pieds et les douleurs me le permettaient. Je suis montée en l'arrière, dis bonjour au chauffeur et j'ai attendu. Mamie est ressortie quelques minutes plus tard avec mes tantes hypocrites, mamie Maguette et tata Aida. Cette dernière pleurait et disait que j'allais lui manquer. Les autres enfants étaient plus intéressés par la voiture. J'ai fait les adieux à tout le monde, sans descendre de la voiture. J'avais trop peur que mamie ne change d'avis.
On s'est finalement mis en route. Mamie m'a demandé de me coucher et a posé ma tête sur ses cuisses. Elle me caressait les cheveux de temps en temps. Durant tout le trajet, j'ai dormi comme un bb. Elle m'a réveillée à notre arrivée. J'étais partie depuis juste 5 mois, mais tout avait l'air d'avoir changé. L'air semblait plus pur, l'eau plus claire et bonne, les gens plus souriants et la maison plus grande et accueillante. Mamie vivait avec sa fille cadette Soda, son neveu Souleymane, le gardien (Vieux) et les deux bonnes (Awa et Rose (je n'aime pas du tout cette appellation)). Le chauffeur (Etienne) ne vivait pas avec elle mais il lui arrivait d'y passer la nuit si nécessaire.
J'ai trouvé Aminata chez Mamie. Elle y restait très souvent car maman n'avait plus de temps pour elle et tata Khady était allée s'installer au Maroc. Elle m'avait manquée mais je n'étais plus la même. Je lui ai juste donnée la main. Elle l'a prise et a éclaté de rires. Ça fait longtemps que je ne riais plus comme ça. Je lui en ai voulu d'être aussi heureuse. Je ne pouvais juste pas rire comme elle. J'ai dit à mamie que je voulais dormir. Elle m'a demandé de manger d'abord. Je lui rappelais que je venais à peine de prendre mon petit déjeuner.
Elle m'a laissée partir. Aminata m'a indiquée le chemin vers la chambre qu'elle utilisait. Je me suis jetée sur le lit comme une assoiffée.
Ma sœur me parlait comme d'habitude, comme si rien n'avait changé, comme si c'était la veille que nous nous étions vues pour la dernière fois, comme si je n'étais jamais partie. J'aurais aimé avoir son insouciance. La voir aussi insouciante m'a révoltée, elle ne m'avait rien fait mais cette blessure, encore saignante, me rongeait le cœur et les méninges.
Je lui ai demandé de se taire et de s'en aller.
Elle a répondu par : Mooo!! Je reste avec toi. On va s'amuser à ton réveil.
Ahhh cette fille!!! Je décidais de l'ignorer. Elle a tenu sa promesse. Je l'ai trouvée à coté de moi à mon réveil. Elle jouait avec ses poupées. Je suis allée me débarbouiller et mamie nous a demandé d'aller prier Tisbar. Elle m'a remis un foulard et demandé de me mettre à ses cotés.
Après la prière, elle m'a apporté à manger. J'ai mangé en silence avec Aminata. Mamie avait déjà appelé Tata Aida pour lui dire que nous étions bien arrivés. Elle m'a demandé dans la soirée de lui expliquer ce que j'avais fait pour que le maitre coranique me frappe autant. Je lui ai répondu que je n'avais jamais fait d'école coranique à Mbour.
Mamie: Ce n'est pas possible. Ton père t'a laissée là bas pour que tu apprennes le coran. Maguette a même dit que l'Oustaz était très bien et que tu t'y plaisais. Ton père lui a remis beaucoup d'argent d'ailleurs pour ça. Tu faisais quoi de tes journées alors?
Moi: J'aidais tata Aida. Je restais tout le temps avec elle. Elle me protégeait quand mamie me frappait.
Mamie: Mais pourquoi tu ne m'as rien dit quand je te posais les questions ?
Moi: je voulais juste que l'on rentre. J'étais fatiguée.
Mamie: Et dire que je ne suis pas allée te prendre à cause de cette histoire d'école coranique. Regardes comment ils t'ont bousillé le dos et les bras.
Elle a commencé à pleurer. Je me disais: si tu étais au courant de tout ce que j'ai vécu là bas, tu crierais à tue tête!!! Je ne disais rien, je ne voulais pas être jugée. Après tout, c'était de ma faute si on m'avait violée. J'aurais du crier ou faire un petit effort. Je me dégoutais.
J'en ai fait des cauchemars pendant des années. Je pleurais dans mon sommeil, criais ou me débattais. Mamie récitait des versets de coran pour moi et me massait le corps avec de l'eau de Zam-Zam ou un mélange d'huile et d'ail, pour éloigner les mauvais esprits. Tata Soda sentait que je ne leur disait pas tout. Elle faisait tout pour me mettre en confiance. Le plus dur est que je ne pouvais pas en parler. Je ne savais même pas quels termes utiliser, ni comment amener le sujet. D'autant plus qu'en parler me rendrait faible et coupable. Je gardais cet épisode au plus profond de mon âme. Rien de bon ne se passait dans mon esprit, j'étais aigrie, méchante et en voulait à toutes les personnes heureuses.
Ma grand-mère m'a fait part du mariage de ma mère avec Tonton Médoune. Maman ne voulait pas de notre présence et c'était tant mieux, je n'avais pas le cœur à voir du monde. Aminata faisait de son mieux pour rétablir les liens qu'on avait. Mais je n'étais juste plus capable de rire, m'amuser etc.
Papa était revenu de ses missions et nous a annoncé qu'il allait s'installer définitivement en France avec Tata Cathy. Il semblait heureux. Ne voulant pas de problèmes avec ma mère, il avait décidé de nous laisser avec mamie Anta, comme ça, il viendrait nous voir à chaque fois qu'il aurait le temps. Il estimait que des filles avaient plus besoin de leur mère. Je m'en foutais pas mal. Tout ce qui m'est arrivé était de sa faute. Je le détestais. Mamie ne lui a pas parlé des problèmes que j'avais rencontrés durant mon séjour à Mbour.
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Chronique de Maguy : le bout du tunnel
Kurgu OlmayanC'est l'histoire de Ndeye Maguette, une jeune fille sénégalaise, dont les parents vont divorcer. Cette séparation sera la cause de tous ses malheurs et tourments.