Chapitre 2 : Un regard différent

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- Dan, on bouge ! Dépêche-toi, le médecin nous attend ! S'écrie ma sœur qui veut m'accompagner à l'hôpital avec ma mère.

- Je termine de me préparer, j'arrive !

Enfermé dans la salle de bain, assit sur la cuvette des toilettes je réfléchis, encore et toujours. Les couleurs bleu clair et blanche de cette petite pièce m'apaisent. Il y a la baignoire juste à côté, il m'est arrivé à de nombreuses reprises de m'installer dedans et de rester là, allongé, des heures durant ces dernières semaines. Je me lève et me positionne devant le miroir en me tenant au lavabo juste devant.

"Quel dégât" me dis-je. Mes cheveux bruns décoiffés viennent à certains endroits recouvrir mon front. Mes joues se sont creusées ces trois dernières années. Je mange moins, je bois moins, je dors peu. Je me revois il y a quelques années, avec un peu plus de poids, un peu plus joufflu, avec un regard beaucoup plus vif et une santé de fer. Le handball avait fait de moi un athlète, mais j'ai arrêté toute activité sportive depuis la découverte de ma maladie. Je me retrouve plus frêle, même si je ne suis pas totalement maigre.

Je n'ai presque pas de barbe alors je rase les poils récalcitrants qui poussent aléatoirement sur mes joues. Ma peau bronzée me paraît tellement blanche dorénavant et mes yeux bleus semblent vides. Je me regarde de longues secondes, examinant chaque recoin de mon visage. Je pourrai me perdre dans mon regard, c'est comme si je tombais dedans et qu'il n'y avait pas de fond tellement il est vidé de toute émotion. J'ai envie de pleurer.

Pourquoi moi ? J'ai toujours été exemplaire. Je ne suis pas quelqu'un de méchant, il n'y avait pas plus souriant que moi. Mon bonheur passait presque après celui des autres. Alors pourquoi moi ?

Je n'en sais rien et ça me ronge l'esprit. Je tape du poing sur le lavabo, toujours en fixant mon maudit reflet.

- Dan ! Descends ! Insiste ma mère.

Je décide de partir avant de pleurer, encore. Je claque la porte et je descends.

- Oui maman, je suis là. On peut y aller je suis prêt.

Elle me dévisage quelques secondes et me dit :

- Tu t'es préparé ? Vraiment ? C'est pour ça que tes cheveux sont décoiffés et que tu n'as pas pris de douche.

- Maman s'il-te-plaît, allons-y. Dis-je dans un long soupir.

Elle n'insiste pas et nous sortons dans le jardin pour aller dans la voiture de ma mère, une petite Clio rouge. Je suis anxieux. Trente deux secondes, c'est beaucoup, le maximum que j'ai eu jusqu'à maintenant.

Une fois installés, nous partons dans la direction de l'hôpital sans perdre de temps. Ma sœur, que j'ai laissé s'asseoir à l'avant, prend le monopole de la radio et écoute de l'électro, musique en vogue chez les adolescents. Je ne dis rien parce que j'aime aussi ce style musical. En revanche ce n'est pas la tasse de thé de ma mère.

- Quelle musique de sauvage ! Et vous aimez ça ? En 2019 les jeunes écoutent ça ? C'est affligeant. Marmonne t-elle en remuant la tête de gauche à droite.

Ma sœur me regarde et me sourit, comme pour me remonter le moral. Elle pose sa main sur mon genou le temps du trajet.

Une fois sur le parking et après s'être divinement bien garé en bataille, ma mère, Mia et moi sortons de l'habitacle. Un bâtiment extrêmement grand, rénové il y a quelques années se dresse devant nous. Avec le reflet du soleil, le blanc étincelant de la façade me fait mal aux yeux. Je n'aime pas les hôpitaux et pourtant c'est là où j'ai passé le plus clair de mon temps ces dernières années. Nous rentrons et une odeur que je ne pourrai décrire mieux qu'un mélange entre des solutions anti-bactériennes et de neuf vient pénétrer dans mes narines. Je la hume contre mon gré quelques secondes avant de m'y faire totalement. C'est pareil à chaque fois que je rentre dans un centre hospitalier. Nous parcourons le chemin jusqu'au cabinet du médecin. Ce dernier tombe nez-à-nez sur nous. C'est un homme d'une cinquantaine d'année, grisonnant, et un peu enrobé. Il n'a plus de cheveux sur le haut de son crâne, seulement quelques restes sur les flancs, virant du brun vers le gris. Il porte des petites lunettes rondes et possède une barbe assez épaisse qui elle, est presque toute blanche.

- Ah la famille Welling ! Quelques minutes de retard mais rien de méchant. Rentrez, allez-y je vous en prie. Dit-il.

Nous rentrons, je fais comme chez moi, je connais le cabinet par cœur. Il pose quelques dossier sur son bureau en bois de chêne. Quel désordre...Comment fait-il pour s'y retrouver, me dis-je voyant ces piles de papiers qui allaient presque tomber, des papiers de bonbons à la menthe éparpillés et des crayons qui ne sont pas dans le pot qui leur est destiné. Je m'installe directement sur le lit situé au fond de la pièce. Il fait de même en s'asseyant sur un tabouret.

- Alors Dan, en entendant la voix de ta maman ce matin j'ai eu une belle frayeur. Trente-deux secondes de pause m'a t-elle dit. C'est largement au-dessus des pauses habituelles. Je vais regarder si rien a changé depuis ta dernière venue. Me lance t-il en terminant de croquer son bonbon.

Il me pose trois électrodes sur le torse et me demande de me tourner un peu sur la gauche. Je m'exécute. Il m'applique un gel au niveau du cœur et passe la sonde d'échographie dessus.

Le gel froid me donne des frissons mais je m'y suis habitué quoique cela fait maintenant six mois que je ne suis pas venu ici.

Après vingt minutes d'examen, il s'arrête et m'enlève les électrodes. Son silence est lourd, presque gênant.

- Alors ? Demandai-je.

Il se rassoit, toujours silencieusement. Il croise ses doigts et décide enfin de partager son diagnostic.

- Alors rien ... Il n'y a aucun changement par rapport à la dernière fois. Il faut croire que le temps de pause peut s'accentuer suivant ton rythme de vie. Je pense que tu dois t'occuper Dan. Plus tu restes inactif plus tes temps de pauses seront longs et par conséquent tu auras moins de chances de te réveiller. A contrario, si tu bouges, que tu fais des activités, ton rythme cardiaque sera plus stable. Ce qui favorisera un temps de pause plus court.

Il se rapproche de moi en me prenant par la main. Je n'ai même pas le temps de réagir qu'il poursuit :

- Ne te démoralise pas Dan. Reste fort. Profite de la vie comme les adolescents de ton âge, et même plus encore. Vois des amis, fais du sport, trouve toi une petite amie. Vis ta vie comme tu devrais la vivre. Tout le corps médical s'est attaché à toi. Nous n'aimons pas te voir dans cet état là, ta mère non plus je pense. - il la regarde avant de reposer ses yeux sur moi - Allez, et je ne veux plus te voir avant un bon moment, ce qui voudra dire qu'il n'y aura aucune détérioration de ta santé.

C'est un docteur très protecteur, très intéressé par ses patients, encore plus avec moi.

- Merci docteur Payton, merci. Dit ma mère en lui serrant la main.

- Merci. Dis-je sèchement même si je savais qu'il avait raison.

- Prenez soin de vous. Conclut-il.

Je sors la tête baissée, encore affaibli de la crise d'hier. Je regarde mes chaussures jusqu'au hall d'entrée. Je la relève pour voir l'heure qu'il est sur la grande horloge qui se trouve au dessus des bureaux blancs crème des secrétaires lorsque j'aperçois une fille. Une brune aux cheveux longs qui me tourne légèrement le dos. Je me rapproche et je discerne un visage fin, très élégant, un petit nez légèrement en trompette et des lèvres fines bien roses. Elle se retourne et je croise alors son regard. Nous nous fixons. Je suis totalement perturbé, totalement surpris, je vois quelque chose dans ses yeux verts qui m'hypnotise. A tel point que je manque de peu de me prendre les portes automatiques en sortant. Nous maintenons le regard des secondes durant, autant que nous le pouvons. Elle se retourne même et me regarde sortir de l'hôpital. J'entends alors qu'elle est appelée par un médecin. J'arrive seulement à distinguer son prénom. "Estelle" entendis-je furtivement. Elle s'appelait Estelle ...

Demain est un autre jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant