Chapitre 19 : La prise de conscience

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J'accuse le coup. Je vois des scènes que jamais je n'aurai imaginé voir un jour. Tout se passe exactement comme dans mon cauchemar. Ma mère qui demande à mon père de la lâcher en criant de toutes ses forces, les mains ensanglantées, tout se déroule de la même manière.

Ma sœur vient de partir... Je ressens ce qu'Estelle a ressenti le mois dernier. C'est une douleur insoutenable. Elle se positionne à côté de moi, je regarde ma sœur passer, allongée sur un brancard, recouverte par un drap blanc. Mon sang ne fait qu'un tour, je sers les poings. Je perds le contrôle, j'ai une haine grandissante qui m'envahit. Je fonce en courant dans la maison en hurlant ma peine en direction du ciel.

- POURQUOI MOI ? POURQUOI NOUS ? QU'EST-CE QU'ON A FAIT POUR MÉRITER ÇA ? HEIN ? QU'EST-CE QU'ON A FAIT ?

Je tape de toute mes forces contre le mur de l'entrée, je fais tomber notre photo de famille qui est encadrée derrière la porte et il se brise sur le sol. Je ne sens même plus la douleur physique. Estelle court derrière moi en essayant de me calmer.

- Ne me touche pas ! Lui dis-je sévèrement alors qu'elle m'avait mit la main sur l'épaule.

Vexée, elle se recule, me regarde m'énerver et monte dans ma chambre.

Je cogne une dernière fois et laisse mon poing contre le mur. Je pose mon front à côté et je fonds en larmes. Je ne peux pas décrire la peine, la tristesse, la haine que je ressens à cet instant, elle est trop forte. Je crie. J'ai l'impression d'être dans une spirale négative. Le pire, c'est que j'aurai pu l'en empêcher. Je l'avais rêvé, j'aurai dû m'en douter. Je m'en veux énormément. J'entends le bruit des sirènes de l'ambulance, celles des policiers, les cris de détresse de ma mère qui me glacent le sang. Je suis à bout. Je suis usé. Je suis immensément triste.

Le soir, chacun s'apitoie sur son sort, d'autant plus qu'Estelle ou moi ; voire les deux ; peuvent s'ajouter à la macabre liste.

Ma mère n'a cessé de pleurer. Je la réconforte comme je peux alors que je suis aussi atterré. Elle vient de s'installer sur une chaise dans le salon. Je ne l'ai jamais vu aussi malheureuse. Ses yeux ne dégagent plus de bonheur, je n'y vois que de la tristesse, que de la peine. Je la prends dans mes bras et pose ma tête sur son épaule. Je sens sa main parcourir mon dos de haut-en-bas. Elle me saisit ensuite à deux bras et m'enlace fortement. Je ressens beaucoup de désespoir et d'impuissance. Elle n'a même plus la force de pleurer. Mon père est devenu très silencieux. Assis dans le canapé, le visage très fermé, il me fait presque peur. Je me retourne suite à mon câlin et me retrouve face à lui, il fixe le sol avec des yeux noirs qui sont bourrés d'une puissante haine, d'une grosse amertume.

Je vois Estelle et sa mère se serrant très fort pour se consoler de toutes ses larmes versées. Mais qui me console moi ?... Personne. J'ai envie de mourir, de tout laisser. Je veux partir, que mon cœur ne reparte plus.

2:00.

Estelle vient de s'effondrer. Je ne lui ai pas parlé de la soirée, je ne ressens plus rien. Sa mère est à ses côtés et mes parents assistent à la scène. Je reste plus en retrait.

...

Elle se réveille vingt-sept secondes après. Ça ne me fait ni chaud, ni froid. Je suis de glace. Je ne vais même pas la voir pour prendre de ses nouvelles, je reste dans mon coin. Je fuis tout, en particulier le regard de mon père qui m'a beaucoup marqué.

Mon heure arrive. Je vais dans ma chambre. Je veux être seul, partir seul. Mes parents n'ont pas vu l'heure, Estelle ne m'a pas regardé. Elle a compris que ce soir je ne voulais pas la voir, ni lui parler.

Je m'allonge sur mon lit, je me recouvre avec mon drap jusqu'à ma poitrine. Je croise les bras et je parcours du regard toute ma chambre. Je commence par le mur à ma gauche où se trouve une cinquantaine de photos de mes parents, Mia et moi. Certaines ont été prises lors de notre voyage à Rome il y cinq ans. Tout allait alors pour le mieux. Je vois le sourire de Mia. Je fonds en larmes à nouveau. Je me lève et me rapproche de ce mur. Une photo attire toute l'attention qui me reste. Nous étions tous les deux avec ma sœur devant le Colisée de Rome, un sourire jusqu'aux oreilles. J'effleure cette photo avec mon doigt. Elle me manque déjà... Je ne la reverrais plus, ce n'est pas possible... Je crois que je ne réalise pas encore... Cette boule que j'ai dans le ventre me fait atrocement mal. Elle m'oppresse. J'ai tellement pleuré que je ne sens même plus les larmes qui coulent sur mes joues. Mon souffle est court. J'ai l'impression d'être opprimé, que je vais mourir.

Je m'allonge sur mon lit et recouvre tout mon corps avec mon drap. J'essuie mes joues et croise à nouveau les bras. Allez la mort, viens me chercher moi aussi. Je suis prêt. VIENS !

2:59, "au revoir le monde" pensai-je. "Au revoir Estelle, au revoir maman, au revoir papa, au revoir..."

3:00

...

...

...

- Pourquoi il ne se réveille pas ? Crie Estelle.

Réveillez-le ! Bougez-le !

- José, chéri ! Viens faire quelque chose ! Il ne se réveille pas ! Je t'en supplie.

- C'est à cause de lui tout ça. Laissez-le. Dit-il.

Je me réveille mais je garde les yeux fermés parce que j'entends ma mère hausser la voix.

- Chéri tu es ivre ! Pose cette bouteille tout de suite. JOSÉ ! Insiste fermement ma mère.

- TA GUEULE ! Répond mon père. FERME LÀ !

- C'est bon maman. Dis-je en ouvrant les yeux. Je suis là, je ne suis pas mort.

- Oh mon fils... Mon amour. Quarante-cinq secondes... Viens dans mes bras.

Elle me fait un câlin et par dessus son épaule je vois mon père l'épaule contre la porte, me regardant avec mépris. Le regard encore plus sombre qu'avant ma crise. Il est totalement soûl. Il manque de tomber. Je ne l'ai jamais vu dans cet état.

Il marche difficilement sous les yeux déconcertée de ma mère qui doit supporter ça. Elle continue pourtant de lui porter son attention mais lui s'en contrefiche.

- LAISSE-MOI ! Crie t-il avec une haleine nauséabonde empestant l'alcool.

Il s'en va dormir, au moins dans son lit il ne risquera pas de tomber.

Estelle et ma mère s'asseyent sur mon lit accompagnées de madame Nida très silencieuse depuis l'enterrement.

Je leur dis quelques mots.

- Estelle je suis désolé pour mon comportement de tout à l'heure ... J'ai pété les plombs. Je te demande pardon...

Elle me prend la main.

- Ne t'en fais pas, je sais ce que tu endures, j'ai pris sur moi, c'est déjà du passé.

Je reprends :

- Maman... Regarde-moi. Demandai-je car elle avait la tête baissée. Regarde-moi s'il-te-plaît.

Elle lève les yeux et croise mon regard.

- Nous devons tenir bon. Papa ne doit pas tomber dans le négatif. Nous sommes une famille, lui-même m'a dit que nous devions rester unis. Alors soyons-le. Aidons-le. Mia aimerait que l'on se batte encore plus, nous ne devons pas sombrer, ou toutes ces morts seraient vaines... Et il en est hors de question.

L'avenir s'annonçait compliqué. Surtout que je remarquais que j'avais raison concernant la possible mort de ma sœur... Ça me rend mal de le dire, j'aurai préféré avoir tort mais le fait est qu'elle est partie, le lendemain de son anniversaire, renversée par une voiture. Exactement comme Mathis. Le destin avait été plus fort.

J'ai maintenant peur pour mon père...

Demain est un autre jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant