VII : Take it like a band

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 Cette année-là, je passai des vacances de Noël assez difficiles, je ne serais pas allée jusqu'à dire les pires de toute sa vie mais une chose est sûre, je n'en gardai pas un très bon souvenir et de toute façon, il n'y avait rien à raconter en dehors de la crise de nerfs magistrale de mes parents lorsque je leur annonçai que je me lançais dans la musique car bien entendu, pour eux je gaspillais mon temps et mon argent alors que nous n'étions même pas encore vraiment lancés. Vu que personne n'était jamais allé plus loin que le lycée dans ma famille, mes parents étaient très stricts avec moi et nourrissaient de grands espoirs. Pourtant ils auraient pu être fiers si nous ne nous étions pas définitivement brouillés plus tard.

Mais bon, en gros, ce qu'il fallait retenir c'est que j'avais passé mes deux semaines de libre enfermée dans ma chambre, sur mon ordinateur à produire des paroles à un rythme presque stakhanoviste et à envoyer quasiment une chanson tous les soirs à Charlie. Je ne fus jamais autant productive qu'au commencement. Et ça avait au moins le mérite de tuer le temps en attendant mon vol de retour à L.A.

À peine eus-je posé le pied sur le sol Californien qu'Alissa me sauta dessus pour m'enlacer. Contrairement à moi, elle n'avait pas bougé, à vrai dire elle n'avait pas grand monde à voir en dehors de ses copains de beuveries. Son père était G.I tombé pendant le guerre du Golfe, peu avant sa naissance, et sa mère ne s'en était jamais vraiment remise, elle vivait d'aides sociales et d'antidépressifs depuis des années. Dès lors qu'elle eut reçu sa bourse au mérite, Alissa s'en alla car elle ne supportait plus de devoir prendre soin de sa propre mère. J'avais trouvé ça lâche mais j'imaginais qu'elle avait des raisons que je ne pouvais pas comprendre.

Mon amie prit mes bagages et nous sortîmes de l'aéroport, il pleuvait ce jour-là, c'était la première fois que je voyais Los Angeles sous un ciel gris. Elle chargea mes affaires dans sa voiture et nous sortîmes de l'immense parking de LAX. Elle me parlait de ses vacances et de comment elle était sortie tous les soirs, des mecs qu'elle avait réussi à se faire... Je ne pouvais pas en dire de même.

Lorsque nous arrivâmes au niveau du campus de l'UCLA, à ma surprise, elle ne prit pas la sortie et continua tout droit sur le freeway.

- Mais qu'est-ce que tu fais ? C'est là ! m'exclamai-je.

- Non copine, on va à Van Nuys ! répondit-elle joyeusement.

- Heu pourquoi ?

- On va rencontrer le reste du groupe et jouer un peu.

- Déjà ? J'ai même pas le temps de prendre une douche ?

- Non ! On est déjà en retard, conclut-elle en prenant la sortie direction Van Nuys.

En arrivant sur le parking du local de répétition, je reconnu la Mustang noire. Alissa ouvrit le coffre et en sortit sa flight case.

- Tout le monde est déjà là, marmonna-t-elle.

- Oui ben désolée je contrôle pas le trafic routier ni les retards des avions...

Elle soupira et poussa la porte en métal qui grinça pour annoncer notre arrivée.

- Ah enfin ! s'exclama une voix masculine qui m'était inconnue.

Alissa passa la première la porte de la petite pièce encombrée d'instruments et d'amplis. Deux mecs étaient déjà installés, ils étaient à peine plus âgés que nous. Le batteur avait de longs cheveux noirs alors que le bassiste était châtain clair aux cheveux très courts. Et dans un coin traînait Charlie.

Ce dernier vint d'abord enlacer Alissa puis moi. Je ne lui avais pas reparlé depuis le Rainbow, je lui avais envoyé des mails quasiment tous les soirs pendant les vacances mais il n'avait presque jamais répondu, en tout cas pas de quoi construire une vraie conversation. Alors qu'il me serrait contre lui, les dernières minutes que nous avions partagé me revinrent à l'esprit, un frissonnement étrange me parcouru le long du dos. Et lorsqu'il relâcha son étreinte, je tentai de réprimer un petit sourire mais je sentais mes joues s'enflammer. En revanche, lui restait parfaitement impassible, ce qui me fit redescendre sur Terre.

- Bien, les filles, je vous présente Rick et Ben, annonça-t-il en montrant successivement le bassiste et le batteur.

Voilà, c'était aussi con que ça. Pas de belle histoire de jeunes qui se rencontrent au lycée et qui deviennent amis grâce à la musique, non, nous on était artificiels jusqu'aux bouts des ongles. Et ça ne s'arrêtait pas là, par exemple le nom du groupe fût choisi en cinq minutes montre en main. Cependant ce n'était pas parce Charlie avait engagé nos deux acolytes masculins sans nous consulter que de vrais liens n'allaient pas s'installer, en fait nous avons même très longtemps joué ensemble.

Alissa posa sa flight case au sol et sortit sa guitare, Rick et Ben échangèrent un regard amusé en voyant le débris de bois que mon amie s'efforçait de brancher sur un ampli Marshall plus grand qu'elle. Elle attrapa ensuite une boite de laquelle elle sortit un pédalier, elle n'en avait jamais utilisé auparavant, ça promettait d'être intéressant.

En attendant que la guitariste se prépare, Rick et Ben improvisaient quelques airs. Charlie s'approcha de moi, un tas de feuilles à la main.

- J'ai fait quelques modifications, j'ai pas gardé tout ce que tu m'as envoyé, j'ai juste pris le meilleur, parfois j'ai même mixé des morceaux, m'expliqua-t-il.

- Okay... murmurai-je un peu déçue en prenant les feuilles griffonnées de partout.

Alissa annonça qu'elle était prête en reprenant l'intro de Voodoo Child pour tester la pédale wah wah. Ben enchaîna alors à la batterie puis le son énorme de la Gibson Blackbird de Rick retentit. La blonde me fit signe de prendre le micro en souriant, je m'exécutai donc, un peu mal à l'aise.

Charlie me fixait dans un coin de la pièce, les bras croisés et les lèvres plissées avant de lever les yeux au ciel et de s'approcher de moi. Il me mit discrètement une tape sur les fesses qui me fit sursauter mais qui, étrangement, me débloqua la voix. Mon sang remonta dans mes joues à la vitesses de la lumière. Puis il retourna tranquillement dans son coin avec un petit rictus sur ses lèvres. Au but de plusieurs minutes, il nous coupa.

- Super les gars, mais on est pas là pour jouer du Hendrix donc j'aimerais qu'on commence à bosser réellement, lança-t-il, Alissa, si tu veux bien...

- Ok... Heu, on peut commencer par Howlin' Wolf, proposa-t-elle.

Je cherchai frénétiquement les paroles dans mon tas de papiers mais en vain. Alissa lança le premier riff et je me mis à paniquer.

- Attends, attends ! criai-je en continuant à farfouiller.

Mais elle continua quand même et une fois de plus, Charlie sortit de son coin, il tira une page du tas et me la colla entre les mains. Je ne me rendis compte du problème qu'au moment de chanter la première ligne : le titre n'était pas le même, c'était normal que je ne la retrouve pas. Pire que ça, très peu de mots étaient de moi mais je continuai quand même à chanter et alors qu'Alissa entamait son solo, je lançai un regard d'incompréhension à Charlie en lui montrant la feuille.

Quand la chanson fût finie, j'allai le voir.

- On peut parler ? demandai-je d'un ton sec.

- C'était super les gars, continuez à la bosser, on revient tout de suite, lança-t-il à l'encontre du reste du groupe.

Nous sortîmes de la petite pièce carrée et je refermai la porte derrière moi.

- C'est quoi ça ?! m'énervai-je en lui collant littéralement le papier sur la tronche.

- Je t'avais dit que j'avais fait quelques changements, répondit-il calmement.

- Quelques changements ? Mais y'a presque rien de moi là !

- Écoute, fais-moi confiance je sais ce que je fais.

- C'est tout ? C'est la seule explication ?

- On peut en parler plus tard s'il te plaît Cheyenne ? Ça serait bien de finir trois chansons avant ce soir, conclut-il en rouvrant la porte.

J'étais abasourdie mais je me pliai tout de même à ses exigences, ne sachant pas quoi faire d'autre. Il avait eu le dernier mot.

Cheyenne  /!\ PAUSE /!\Où les histoires vivent. Découvrez maintenant