XIII : The whore of wrath

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La vie avec Charlie se passait relativement bien au début, c'était pas la cohabitation la plus harmonieuse du monde mais c'était gérable. On vivait un peu en décalé, ce qui aidait pas mal. Étant donné que le manque d'argent arriva rapidement, on tentait de survivre comme on pouvait mais on y arrivait, on avait de la ressource et les conseils de Charlie. Il nous expliquait comment la plupart des groupes faisaient pour survivre à Los Angeles alors qu'ils ne gagnaient que vingt-cinq dollars par semaine, ceci incluait le vol à l'étalage, profiter des gens ou même carrément vivre à leur crochet. Et franchement, cette dernière option n'était pas si difficile que ça pour Alissa et moi, il suffisait qu'on descende au Rainbow, qu'on attende un peu que le bar se remplisse et il y avait toujours quelqu'un pour nous payer à manger et surtout à boire. Du coup on rentrait bourrées chez Charlie environ cinq soirs par semaine, c'était pas brillant mais c'était gratuit et ça avait au moins le mérite de me faire travailler mon endurance en matière d'alcoolémie.

Sauf qu'aux yeux de Charlie, ça passait plus pour du bon temps que pour de la première nécessité et ça l'énervait parce que pendant qu'on se remplissait le bide à l'œil et qu'on étanchait notre soif grâce à des mecs un peu trop cons d'espérer que ça nous suffirait pour passer la nuit avec eux, ben lui il tentait de nous monter un vrai concert pas trop nul, ce qui commença a créer quelques tensions entre lui et nous. Et je le comprends maintenant, comment monter un projet qui tienne la route quand tes quatre musiciens vivent la nuit et viennent aux répétitions avec la gueule de bois ?

Le calme olympien qu'il avait arboré jusque-là face à toutes les situations dans lesquelles on l'avait mis, comme mon premier bad trip, notre squattage à l'improviste ou notre fainéantise au boulot, me rassurait. Je pensais qu'il était quelqu'un de profondément calme qui cherchait toujours des solutions à un problème qui s'élevait devant lui au lieu de s'énerver. J'aurais pourtant dû me douter qu'un calme aussi grand ne pouvait en réalité ne cacher qu'une colère encore plus grande. La première fois qu'il l'a laissé éclater en face de nous, c'était vraiment pas beau à voir, j'irais même jusqu'à dire que c'était terrifiant et on ne s'y attendait vraiment pas.

C'était un jour de répète dans notre local à Van Nuys à la fin du mois de mars, seulement trois semaines après qu'on se soit installées chez lui Alissa et moi. On s'était tous retrouvés sur Sunset la veille, Ben, Rick, ma meilleure amie et moi, la soirée ne fut pas particulièrement mémorable, on avait fait juste comme les soirs précédents : bouffe, alcool, clopes, alcool, joints, alcool, coke. On en avait rapidement fait notre nouvelle norme pour passer une bonne soirée donc le contrecoup n'était pas plus violent que d'habitude. Comme à chaque fois qu'on devait se lever pour aller à Van Nuys, on comatait un peu, je titubais encore légèrement, bref on était des larves et seul Charlie était sobre et frais une fois de plus. Et c'est l'accumulation et la réitération de notre comportement amorphe les trois seuls jours de la semaine où l'on se devait de ne pas l'être qui fit littéralement péter les plombs à Charlie.

Voyant que nous étions tous en train de dessoûler, le regard dans le vague, pas prêts de commencer à jouer, il claqua la porte dans un bruit assourdissant qui ne fit qu'aggraver notre mal de crâne et nous prit entre quatre yeux, les siens étaient devenus noirs de rage.

- Vous commencez vraiment à me les briser sévère les gars ! Vous avez un comportement merdique depuis quelques temps ! Va falloir se calmer tout de suite ! Vous voulez vivre comme des rockstars, okay, très bien, sauf que pour l'instant vous n'êtes pas des rockstars, vous ne faites rien, vous n'avez encore rien fait ! Vous êtes des nuls ! Vous ne pouvez pas vous le permettre ! Vous n'avez même pas été foutu de trouver un nom pour votre groupe ! C'était le seul truc que je vous avais demandé de faire pendant que je m'occupais d'essayer de vous faire jouer ! Et vous savez pourquoi vous n'avez pas encore joué ? Parce que quand on me demande des infos sur le groupe, je sais même pas qui annoncer ! Donc moi j'ai une proposition à vous faire : soit vous arrêtez les conneries et vous vous sortez les doigts, soit je vous mets tous à la porte, tout de suite, et vous retournez dans votre merde ! Je sais pas si vous vous rendez compte de la chance que vous avez de m'avoir pour vous tirer hors de votre trou parce que moi quand j'ai commencé, j'avais personne ! Je me suis démerdé et c'est pas en me bourrant la gueule tous les soirs que je me suis fait un nom ! On bosse d'abord et seulement après on fait la fête ! Vous êtes plus des gosses bordel ! C'est pas à moi de surveiller vos moindres faits et gestes ! Les filles, c'est pas à moi de venir vous réveiller le matin ! Merde !

Nous n'osâmes pas réagir, on se regardait juste tour à tour en silence, on savait bien qu'il avait raison comme toujours, mais aucun mot ne sortit et ça l'énerva de plus belle. Il prit alors la guitare d'Alissa dans sa flight case, ça avait beau être l'objet le plus important qui soit aux yeux de mon amie, elle le laissa faire sans rien dire, elle avait trop peur de ce qui aurait pu se produire si elle avait osé protester mais en fait ça n'aurait pas pu être pire. Il fracassa le morceau de bois contre le sol. Et recommença. Encore et encore, jusqu'à ce que le manche se décroche. Puis il le lança contre le mur. Et avec elle, il fracassa les rêves d'Alissa.

- Merde ! hurla-t-il en avançant vers la porte.

Dès l'instant où la porte se referma derrière lui, Alissa se mit à avoir des spasmes suivis de grosses larmes qui dégoulinaient sur ses joues. Les garçons se jetèrent sur elle pour la réconforter pendant que je réalisais ce qui venait de se produire. Autant dire qu'à partir de ce jour, on évita soigneusement de le mettre en colère, ça ne marchait pas toujours mais le moins possible était le mieux.

- Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ? cria Alissa entre deux convulsions.

- On va jouer, voilà ce qu'on va faire, dis-je sur un ton solennel.

Ils se tournèrent vers moi, étonnés de ma réaction, Alissa tremblait toujours mais ne gémissait plus.

- Alissa relève-toi. Ma meilleure amie n'est pas pleurnicharde, quand elle tombe, elle se relève fièrement, prête à botter des culs et c'est ce qu'elle fait le mieux. C'est ton rêve, on y est presque alors bats-toi. Le monde de la musique est impitoyable alors si on s'effondre comme ça dès le début, on va se faire bouffer rapidement et c'est pas ça qu'on veut. Nous ce qu'on veut c'est bouffer ces requins.

- Tu as une idée maintenant que Charlie est parti ? demanda Rick.

- Oui, répondis-je en sortant mon portable, on s'enregistre et on lui prouve qu'on casse des culs et qu'il peut nous faire confiance.

- Je suis partant, approuva Ben.

- Moi aussi, renchérit Rick.

- D'accord... dit Alissa faiblement.

Rick partit chercher une guitare à lui dans son van et la tendit à Alissa qui la prit délicatement avec un sourire timide. Elle se brancha et lança un premier riff énergique, je mis mon téléphone sur la fonction dictaphone et Ben lança le rythme. Nous jouâmes, encore et encore, pendant des heures. Ce fut notre meilleure répétition jusque-là, Charlie n'était pas là pour nous interrompre à tout va pour des détails dont on se foutait pas mal, on se sentait plus à l'aise, plus vivants, tous plus déchaînés les uns que les autres. Le pied total, on en oublia même la gueule de bois.

Quand le résultat fût assez satisfaisant à nos oreilles, nous prîmes tous la route pour aller chez Charlie. Une fois là-bas, j'ouvris violemment la porte sans prendre la peine de sonner. J'étais bien déterminée à lui montrer qu'on ne nous insultait pas comme ça. Le bruit le fit sursauter de son canapé, comme d'habitude il ne faisait pas grand-chose, il arrivait à vivre de ses royalties, et nous nous plantâmes devant lui.

- Alors, commença-t-il, vous vous êtes décidés ?

Je jetai mon portable sur sa table basse.

- Écoute ça, lui ordonnai-je.

- Et qui je suis sensé écouter ?

- The Wildlings.

Cheyenne  /!\ PAUSE /!\Où les histoires vivent. Découvrez maintenant