XX : Take me to the stage, I'll take your breath away

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20h30.

Les lumières s'éteignirent, plongeant ainsi la salle dans le noir le plus total. Un bourdonnement commença à s'élever dans l'air, des sifflements fusèrent çà et là. L'atmosphère se fit lourde, une parfaite représentation de ce qu'on appelle le calme avant la tempête, un ultime instant de répit. Le moment fatidique ne cessait de se rapprocher et pourtant le temps semblait ne plus s'écouler, les secondes paraissaient interminables. Je ne pouvais pas fuir.

Sur le côté de la scène, les yeux clos, la boule au ventre et les mains moites serrant fermement mon micro, je ne cessais de me remémorer en boucle les mots de Charlie : « Une tueuse en talons hauts. ». Une goutte de sueur nerveuse perla le long de mon visage et finit sa course dans mon cou. L'attente devenait presque insupportable. Le bourdonnement émis par les spectateurs ne cessait de monter crescendo, se faisait de plus en plus grave et de plus en plus oppressant, presque insoutenable, me rendant presque malade. Je tentais coûte que coûte de m'accrocher à mon unique pensée agréable mais le bruit était tellement assourdissant que je ne m'entendais même plus dans ma propre tête. J'aurais voulu vomir mes tripes et mourir sur place.

Je sentis des ombres autour de moi puis un cri féroce qui me paraissait si lointain. À l'extérieur la vie continuait son cours. Un coup de grosse caisse inattendu me souleva le cœur, puis la morsure d'un riff de guitare agressif me déchira l'esprit.

- Cheyenne ! Cheyenne !

J'ouvris les yeux, au bord des larmes. Charlie me secouait pour me sortir de ma transe cauchemardesque. Il me sourit chaleureusement avant de me prendre rapidement dans ses bras pour enfin me pousser au bord du gouffre.

« Une tueuse en talons haut. »

Instinctivement, je me jetai dans la fosse aux lions la tête la première, déboulant sur scène au pas de course à la manière d'une furie fraîchement échappée des enfers avant de pousser un cri à vous fendre l'âme en deux. Le public se mit à rugir comme le tonnerre des orages d'été, libérant ainsi un flot d'adrénaline qui parcourut mon cerveau à la vitesse de l'éclair. Il y a mille fois mieux que la coke et le speed réunis ou le plus violent des orgasmes : il y a la musique qui prend vie.

Emportée par les riffs brûlants d'Alissa, le rythme effréné de Ben et les grondements de Rick, je fouettai violemment l'air de mes cheveux. Je portai enfin le micro à ma bouche et déclamai de ma voix éraillée et puissante les paroles du premier couplet avec une assurance telle que je m'en étonnais moi-même.

The winter wind blows in the naked trees

Moonlit fields are glowing in the dark

A raven sings its last song

As the wolf howls to the sky

'Cause the wolf is in love with the moon

And each night cries for the one he'll never touch*

Je ne pouvais m'empêcher de sourire et de jeter des coups d'œil complices à mes collègues qui s'éclataient autant que moi. C'était une sensation incroyable, presque magique, et définitivement indescriptible. Cela faisait partie de ces choses qu'il faut avoir vécu pour pouvoir les comprendre. Malgré le fait que le public soit plongé dans l'obscurité et que ses cris soient couverts par les amplis, j'aimais à penser qu'il ressentait notre énergie et le plaisir que l'on prenait.

L'excitation me poussait à sautiller frénétiquement et à parcourir la scène de long en large à tel point que lorsque les musiciens achevèrent Howlin' Wolf, j'étais déjà en sueur, peu habituée à cet exercice, me demandant si j'allais survivre aux quarante minutes restantes à ce rythme-là.

Cheyenne  /!\ PAUSE /!\Où les histoires vivent. Découvrez maintenant