Chapitre 2

34 6 0
                                    


Il fait nuit, et il fera nuit pendant encore une heure ou deux, c'est la saison qui veut ça. Tana a mis son réveil quinze minutes avant l'heure à laquelle elle compte sortir de son lit, comme ça elle a le temps d'émerger et de profiter des derniers instants. De toute façon elle sait bien que ce ne sont pas ces minutes de répit qu'elle se laisse chaque matin qui change la mauvaise humeur qui la gagne à chaque fois que ses paupières s'ouvrent. Ce matin est pire que les autres, elle sentait que cette journée va être, sur son échelle d'estimation personnelle de pénibilité, très hautement placée. Encore une où elle va faire semblant de sourire, semblant d'aller bien, alors que cette envie de disparaître est toujours et de plus en plus présente. Elle se voit se détacher de mes amis, a l'impression de ne rien leur apporter de toute façon, et ils ne peuvent rien pour elle non plus. Personne ne le peut.

Tana reste au lit plus longtemps que prévu et ne se réveille que pour avoir le temps de s'habiller et se rafraîchir. Elle ne déjeune pas, et se dit que ça ne lui fera pas de mal, bien au contraire. Elle chausse ses baskets, prend ses affaires et part pour une journée de plus à l'université.

Elle aime bien conduire, mais elle conduit mal quand elle est seule et encore plus quand elle est de mauvaise humeur. Elle doit redoubler de vigilance, pas pour elle, mais pour les autres, surtout qu'il fait encore nuit à l'heure où elle prend la route. Toujours dans ses pensées, elle écoute la musique de la radio mais ne sait même pas quelle chanson passe. Tana conduit plus vite que la limitation ne l'y autorise car elle prend cette route tous les jours, et est censé la connaître par cœur : ses ronds points, ses virages, ses stops.. Ce stop. Elle savait qu'il était là pourtant mais c'était comme si elle n'était plus dans sa voiture. Elle le voit tard, trop tard, elle est encore en cinquième à environ 95 km/h, alors que la ligne blanche n'est qu'à quelques mètres. Une lumière arrive de la gauche, sûrement les feux d'une voiture. Tana distingue deux feux de plus, plus hauts, c'est un camion.  Elle freine, elle freine encore et encore, comme elle peut, son pied est enfoncé sur la pédale mais elle sait que ça ne suffira pas, elle va réussir à s'arrêter mais elle dépassera la ligne blanche et sera en plein milieu de la route. Elle est descendue en troisième le temps de raisonner ce constat. Il faut qu'elle prenne une décision. Elle ne pourra s'arrêter à temps. Le camion se rapproche et elle sait qu'entre lui et elle, c'est elle qui aura le plus mal. Il est sur la route prioritaire, il ne doit pas se douter qu'une petite Citroën bleu arrive au stop à trop grande vitesse et qu'il faudrait qu'il ralentisse.

C'est peut-être ma fin. Le moment qu'elle attendait, celui qui soulagerait son mal-être.. Et merde non. Le chauffeur de ce camion doit avoir une femme, des enfants, elle devait essayer de tout faire pour éviter de rentrer en collision, quitte à finir dans un arbre ou un fossé. Et au fond, elle n'était pas prête à se foutre en l'air.

Tana reprend ses esprits, elle ne peut pas freiner mais a les moyens, en accélérant d'aller en face, traverser le carrefour au plus vite. Elle accélère, il le faut. Elle lâche le frein, déplace son pied sur la droite. Sensation étrange, elle a l'impression qu'on appuie déjà sur la pédale. Elle insiste, et continue, en allant chercher la boite de vitesse. En posant la main dessus elle comprend que la quatrième est passée, pourtant elle croyait bien être en troisième. Elle a dû mal voir la rétrogradation effectuée. Le camion se rapproche, le stop aussi. Elle dépasse le panneau, traverse la ligne blanche et débraye en même temps afin d'enclencher la cinquième tout en continuant d'accélérer à fond. Elle a coupé in extrémis devant le camion, et l'a à peine entendu klaxonner en panique, tant son cœur tapait fort dans sa poitrine et résonnait dans sa tête. Elle regarde dans son rétroviseur, personne, le noir total. Elle ralentit, encore chamboulée, elle a chaud par bouffées. Elle essaye de se calmer et tente de comprendre ce qui vient de se produire.

La division.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant