Au petit matin, une affreuse migraine tambourinait aux portes de sa conscience. La nuit avait été courte et les rêves sans saveur. Les effets de l'alcool s'étaient distillés et ne lui avaient laissé en cadeau que le goût amer d'une vie brisée et inutile. Elle traîna des pieds pour se rendre à la salle d'eau, se « refaire une beauté ». Qu'elle ironie du sort ! Elle avait fleureté avec la mort la veille au soir, et sa première pensée au réveil la conduisait instinctivement vers la glace, ses lotions pour le corps et son maquillage. Pourquoi user de tous ces artifices ? Pour qui ? Avec ou sans fard, personnes ne se retournait sur son passage. Aucun homme ne lui adressait de sourires complices. Elle restait la bonne amie, celle avec qui l'on pouvait se confier, discuter de tout et de rien, et surtout celle dont on évitait soigneusement de froisser les draps.
Son lit n'avait jamais craqué sous les coups de reins d'un bel étalon, ni grincer sous les gémissements d'un couple en plein ébat.
Les plaisirs solitaires ne lui suffisaient plus, elle avait besoin d'une idylle, d'une relation charnelle, de ressentir des mains puissantes glisser sur son corps, parcourir son intimité. Elle voulait faire l'amour jusqu'à l'épuisement et s'endormir dans les bras protecteurs d'un amant, satisfaite... Juste une nuit ; une nuit intime.
Claire resta ainsi, prostré devant son miroir, anéanti par le chagrin et usé par le fatigue. Elle poussa un long soupir et commença son long chemin de croix quotidien, celui qui donnerait vie à son visage devenu insipide.
Le petit déjeuner était devenu avec le temps, une simple formalité. Elle avala son café sans sucre, en vitesse, sans se préoccuper de remplir son estomac. Ses journées commençaient toujours de cette manière, le ventre vide. Claire savait pertinemment qu'il le lui ferait payer en milieu de matinée, mais elle n'avait pas le courage d'en faire davantage. Sans prendre la peine de débarrasser sa tasse, elle saisit les clefs de la Mini, pris ses affaires et claqua la porte derrière elle.
Le vent était glacial et accompagnait un froid mordant. Le pare-brise était recouvert d'une fine pellicule de givre qu'elle s'échina à gratter avant de prendre la route.
Au volant de sa voiture, la jeune femme laissait ses pensées vagabonder au rythme des musiques que diffusait la radio locale. Son rétroviseur renvoya l'image d'une jeune femme frêle, le visage creusée par le manque de sommeil et torturé par les évènements récents. Il fallait oublier cette rencontre, la mettre sur le compte de la mauvaise fortune et tenter de reprendre le cours de la vie là où elle l'avait laissé. Le shérif lui avait transmis les coordonnées d'un psychologue de Castle Grey, mais elle avait refusé poliment la carte tendue. Le flash info de huit heure faisait état d'une personne disparut dans la Green River la veille au soir. Le corps n'avait pas été retrouvé et les secours estimaient que le déluge et la météo particulièrement froide en cette saison ne laissait aucune de chance de survie au malheureux. Une équipe de pompier était déjà sur place, le long des berges, pour retrouver le cadavre. L'animateur mentionna le nom de la victime, Kurt, et invitait toute personne ayant un membre de sa famille qui ne donne plus signe de vie, à se manifester. Il concluait son annonce en donnant le numéro de téléphone des autorités pour se faire connaître.
En arrivant près du vieux pont, Claire ne put s'empêcher de réprimer un sanglot. Elle gara son véhicule sur le bas-côté pour reprendre ses esprits et remettre de l'ordre dans ses cheveux et vérifier que son maquillage n'avait pas coulé. Il restait encore quelques kilomètres à parcourir pour se rendre sur son lieu de travail.
Les secouristes s'activaient depuis le pont et sur les berges. Un zodiac gris de la police fluviale sillonnait les eaux de la rivière redevenues calmes.
Un homme se dirigea vers elle et lui fit signe de la main. Sans son casque argenté, elle l'aurait identifié plus rapidement ; il s'agissait de John, un garçon de quelques années son cadet. Claire abaissa sa vitre et coupa le son de la radio.
— Salut Claire ! lança-il une fois à sa hauteur.
— Bonjour John ! Des nouvelles ? Vous l'avez retrouvé ?
— Non, pour le moment, nous n'avons aucune trace de lui. Son corps a peut-être été emporté plus en aval. Le courant était très fort cette nuit. Les collègues de Saint Jean-Baptise sondent la rivière près de l'écluse pendant que la police inspecte les bas-côtés.
L'ambulance du comté fit son apparition à l'autre bout de Silver Bridge. Claire resta sans voix et ne put réprimer un gros soupir. Un silence pesant s'installa entre les deux jeunes gens.
— Tu crois qu'il y a une chance pour qu'il s'en soit sorti ? demanda Claire, les yeux rivés sur les gyrophares bleus.
— Pour être honnête, la chute a dû sacrément le sonner. S'il n'est pas mort noyé, il est mort d'hypothermie. La météo était très mauvaise cette nuit. C'est toi qui l'as trouvé à ce qu'on m'a rapporté.
— Oui, j'étais là quand il est passé par-dessus la rambarde. J'ai tout tenté, je t'assure John, assura-t-elle, la voix chevrotante.
— Tu n'as pas à me convaincre, je le sais, Claire. Tu as l'air d'être crevée, tu ne devrais pas aller au travail aujourd'hui et en profiter pour te reposer. Tu veux que je demande au médecin l'ambulance de t'ausculter.
— Je ne veux pas rester seule à la maison, tu comprends... J'ai son visage qui revient sans cesse me hanter. J'ai besoin de m'occuper, de m'aérer l'esprit.
Le secouriste écouta d'une oreille compatissante et tapota l'épaule de la jeune femme en signe d'affection.
— Fais attention à toi. La chaussée est glissante et tu n'as vraiment pas l'air dans ton assiette.
— Merci pour tout, John, répondit-elle avec un sourire forcé.
— John ? John ? lança une voix dans la radio.
John s'éloigna de quelques mètres pour répondre et lui fit signe de la main.
— Garett, je te reçois...
Les voix s'évanouirent lorsque la jeune femme referma sa vitre. Elle dépassa au pas l'ambulance garée sur le bas-côté et reprit sa route vers le Memorial hospital.
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Mary
RomanceClaire est une jeune femme que la vie a délaissée. Elle survit plus qu'elle ne vit dans cette ville rurale des Etats-Unis. Un soir de pluie, en passant sur le Silver Bridge, elle succombe au visage angélique et torturé de Kurt...