La patiente

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La petite fille ouvrit ses yeux gris chargés de sommeil et de mélancolie. Elle les ferma quelques secondes supplémentaires et fit une nouvelle tentative.

Elle était si fatiguée.

Le plafond dansait loin au-dessus d'elle et ne se fixa qu'au terme d'une interminable minute. L'unique ampoule distribuait une lumière hésitante, à peine suffisante pour éclairer tous les recoins de la chambre. Des cachettes où pouvaient se cacher toute sorte de montres.

Elle déglutit péniblement, la gorge sèche, et appela son père comme à chaque fois qu'elle était effrayée.

— Papa... réussit-elle à articuler à bout de force.

Elle savait qu'il ne reviendrait pas, qu'il ne viendrait plus. Il l'avait abandonné et laissé à ce monsieur qui la terrorisait. Il avait une drôle de voix et lui avait affirmé qu'il prendrait soin d'elle. Mary s'était accrochée à son cou sans opposer la moindre résistance ni même poser une seule question. Elle n'imaginait pas qu'un adulte puisse être aussi cruel. La cruauté n'existait que chez les animaux sauvages, les loups et les lions en particulier. Elle ajouterait à ce bestiaire imaginaire, l'homme en noir venu la chercher à l'hôpital.

De son ancienne et très courte vie, elle n'avait pu emmener qu'un seul compagnon, Monsieur Doudou, le plus joli des oursons en peluche. Monsieur Doudou ne pleurait jamais et souriait à toute heure de la journée et de la nuit. Sans lui, elle aurait été réellement seule et totalement perdue.

Avec son compagnon et confident, elle se sentait plus forte. Le jaune de son pelage était délavé depuis des lustres. Son père avait essayé de le laver à plusieurs reprises, mais ses tentatives pour lui rendre ses couleurs avaient toujours échoué. Monsieur Doudou se nettoyait tout seul, comme tous les ours. Elle caressa ses petites pattes rembourrées : il y en avait une bleue et une rouge.

Troué à certains endroits, il laissait son duvet s'envoler. Monsieur Doudou semait des peluches partout. Qu'importe, il était le plus beau des oursons et il ne l'abandonnerait jamais.

Le plus difficile à supporter, c'était la solitude. Et quand on était seule, même âgée de six ans, on dépérissait très vite.

Mary laissa ses pensées divaguer et l'emporter près de sa mère. Cela faisait des mois qu'elle ne l'avait pas revu. Son père lui avait expliqué que Dieu avait tellement de travail ces temps-ci qu'il avait lui-même demandé à sa maman de venir l'aider. « Il y a tellement de misère sur terre, lui avait-il dit, qu'elle ne pouvait pas refuser. Mais d'en haut, elle te surveille et t'envoie toute sa force pour que tu puisses être toujours plus forte ». Les mots résonnaient dans sa tête et lui faisaient du bien. Elle gardait toujours de la tristesse au fond de son cœur parce qu'elle aurait voulu sa maman pour elle toute seule... Parfois, quand elle s'endormait dans sa chambre, elle pleurait sur la photo de sa maman. Mary n'avait jamais voulu partager son chagrin avec quelqu'un d'autre que Monsieur Doudou, surtout pas son père. Il y avait assez de tristesse dans son regard quand il évoquait sa maman. Alors, elle ne voulait pas en rajouter et se contentait de vider ses larmes sur ses draps, à l'abri des regards.

À l'école, son apprentissage était devenu compliqué après la disparition de sa mère. Non pas qu'elle ne comprenait pas les leçons de la maîtresse, mais elle avait du mal à se concentrer et porter son attention sur ses cahiers. Son esprit était tout entier tourné vers sa maman et le manque que son absence avait créé tout autour d'elle.

Mary savait qu'elle n'était pas seule à souffrir de ce vide. La voix de sa mère, son sourire, son odeur... tout lui manquait.

Mary regarda Monsieur Doudou et lui posa la question.

— Tu crois que papa est aussi triste d'être loin de nous ?

Monsieur Doudou sourit, mais ne répondit pas. Elle fit hocher la tête de son ours en peluche et tinter le grelot enfermé dans son ventre. Il était d'accord avec elle, cela la rassurait un peu.

Mary crispa les lèvres et serra Monsieur Doudou très fort contre elle. Ils n'étaient plus que tous les deux maintenant et devaient être forts l'un pour l'autre et ne pas céder à la panique.

Le bruit de la sonnette de l'appartement la fit sursauter. Elle se réfugia au fond de son lit. L'index sur les lèvres, elle indiqua à Monsieur Doudou de ne pas de bruit. L'homme à la drôle de voix ne voulait pas qu'elle signale sa présence et elle s'appliquait à rester silencieuse pour ne pas s'attirer de coups. Il recevait souvent des femmes qui faisaient des bruits bizarres et soufflaient tout le temps. Elles ne s'attardaient jamais très longtemps.

Cette fois-ci, c'était différent. C'était un homme qui venait de pénétrer à l'intérieur du logement. Il avait une voix grave et rassurante qui fit s'étirer les lèvres de la jeune fille dans un sourire presque joyeux. Cette voix familière, elle l'avait déjà entendue. Elle espérait du fond de son cœur que son propriétaire était venu pour elle.

Précautionneusement, elle descendit de son lit et s'approcha de la porte. Sur le sol, des gros insectes se réfugiaient sous les meubles en évitant soigneusement de se retrouver coincés sous les orteils de la jeune fille.

Mary colla une oreille contre la porte, mais ne comprit rien à la conversation. Elle cherchait avant tout à capter la voix chaleureuse et grave du visiteur. Elle ferma un instant les yeux pour mieux s'en imprégner.

Puis le ton monta d'un seul coup. L'homme à la drôle de voix criait très fort. Mary plaqua ses mains sur ses oreilles et courut se réfugier sous son lit. Monsieur Doudou resta près de la porte. Quand elle s'en aperçut, Mary ne put s'empêcher de crier.

— Monsieur Doudou, reviens !

Mais Monsieur Doudou resta désespérément seul au milieu des détritus et des petites bêtes qui fourmillaient sur le parquet. Il était son seul ami et la seule présence qui la rassurait ; elle ne pouvait pas se résigner à l'abandonner.

Monsieur Doudou souriait comme il le faisait à chaque fois.

Mary prit une profonde inspiration, et au milieu de la dispute, s'approcha doucement de Doudou. Les yeux voilés de larmes, elle avança pas à pas, sans perdre de vue son compagnon. Quand elle fut à proximité, prête à le saisir, les voix se turent.

Mary suspendit son action et demeura inerte, le cœur battant la chamade. De toute sa vie, il n'avait jamais battu aussi fort. Ses jambes tremblaient et menaçaient de céder à la peur. Tout son corps était en alerte. D'une main, elle balaya les larmes qui coulaient le long de ses joues et s'empara de Monsieur Doudou au moment où les deux hommes reprirent la discussion.

Les voix s'étaient apaisées, mais Mary sentit la tension toujours présente. Elle se désintéressa des voix et courut avec Monsieur Doudou jusque sous sa couverture.

— Monsieur Doudou, j'ai failli te perdre lâcha-t-elle dans un souffle.


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⏰ Dernière mise à jour : Sep 07, 2016 ⏰

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