L'inconnu

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Candy arpentait les couloirs du service de réanimation du Memorial Hospital. Le travail de nuit avait ses faveurs ; Le silence relatif et le calme apparent s'accordaient avec son désir de se tenir éloigné des familles en visite. Elle supportait difficilement les regards larmoyants et les pleurs des parents, des amis, des frères ou des sœurs. Candy éprouvait une réelle aversion à l'idée de devoir préparer toutes ces personnes à une possible issue fatale. Ce n'était pas son rôle, mais comment le faire comprendre à un visiteur en détresse ? Les médecins n'étaient pas toujours disponibles et s'appuyaient sur les infirmières et les aides-soignantes pour effectuer le travail ingrat. Il était vingt et une heure trente.

Candy exerçait son métier d'infirmière depuis une dizaine d'année, mais n'avait été affectée à ce poste qu'à partir de l'été dernier. Après un divorce difficile, elle avait préférée s'exiler à l'autre bout du pays et le Memorial Hospital était l'un des deux établissements de la région qui avait répondu favorablement à ses lettres. Le besoin vital d'argent lui avait fait préféré celui qui lui proposait les meilleurs émoluments.

Elle ajusta sa blouse et replaça une mèche rebelle derrière son oreille. Elle allait pouvoir enfin découvrir le mystérieux inconnu. Lors de sa prise de garde, en début de soirée, les filles ne parlaient que de cet homme repêché dans la Green River. Sans papiers, personne n'avait pu l'identifier, pas même les services de police. Candy avait entendu l'appel à la radio comme tous les habitants du comté durant l'après-midi. Le message était relayé sur les ondes avec une fréquence immuable, toutes les trente minutes, mais personne ne s'était présenté pour s'enquérir des nouvelles du blessé. Il était décrit comme un homme blanc, d'une trentaine d'année, les cheveux châtain, vêtu d'un jean et d'un tee-shirt clair, sans motif imprimé. Le seul signe distinctif relevé concernait le prénom « Mary » tatoué sur l'intérieur du poignet gauche, entouré par des ailes d'anges.

L'infirmière entra dans la chambre et referma la porte doucement dans son dos. Un impressionnant dispositif maintenait le blessé en vie. Elle s'approcha du lit et fixa de ses yeux sombres, les moniteurs : la fréquence cardiaque était stabilisée à 60, l'oxygène saturée à 98 et la tension artérielle à 84. Elle vérifia les électrodes collées sur son torse et la pince pour mesurer le taux d'oxygène dans le sang, fixé au bout de son index.

Après avoir remplacé la perfusion, elle s'intéressa à l'homme et nettoya la plaie qu'il avait le long de l'aine. La blessure nécessiterait des soins réguliers pendant plusieurs semaines.

— Comment ont-ils osé te laisser avec ce pansement mon choux, murmura-t-elle.

Candy discutait souvent avec ses patients. Elle estimait qu'entretenir une conversation, tout au moins un monologue, les aidaient à traverser cette épreuve tragique.

L'homme était arrivé en arrêt respiratoire et ne devait sa survie qu'au massage cardiaque réalisé par les pompiers. Sans leur abnégation et leur volonté de le maintenir en vie, il occuperait un casier à l'étage inférieur, au frais ; le temps de contacter les proches et de procéder à l'inhumation.

Il était resté au bloc quatre longues heures et ne s'était pas réveillé. Le docteur Bret Milano l'avait plongé volontairement dans un coma artificiel avant de le diriger dans le service adapté, celui de Candy.

Son visage était tuméfié par des contusions que temps le finirait par estomper. Elle l'espérait de tout cœur. Elle devinait sous les ecchymoses, les traits fins d'un homme délicat.

— Qui es-tu donc ? lui souffla-t-elle.

Derrière la vitre, les traits tirés, fatigué par une journée éprouvante, Bret était préoccupé. D'un air absent, il observait l'infirmière examiner son patient. Plus tôt dans la journée, il avait contribué à sauver la vie de cet homme. Un inconnu sur lequel aucun nom n'avait pu être apposé. Les rumeurs allaient bon train dans la salle de repos du personnel. Tout le monde y allait de son pronostic, mais personne ne pouvait répondre à la sempiternelle question : Qui était-il ?

Plus Bret l'observait, plus un doute s'insinuait en lui. Il connaissait cet homme et pouvait le jurer sur les saintes écritures. Où et quand l'avait-il croisé ? Cela demeurait un mystère. Un mystère qu'il souhaitait élucider à tout prix et le plus tôt possible. Trop de chose était en jeu. Il ne pouvait pas se permettre de laisser le moindre grain de sable venir enrayer la belle machine qu'il avait patiemment construite. Peut-être n'était-il réellement personne, seulement un illustre inconnu ? Eluder cette question comportait trop de risque pour l'avenir de sa petite entreprise.

Ses amis qui le côtoyait plus intimement, le définissait, à juste titre, comme un être froid, calculateur avec une tendance à la paranoïa. Cet état, Bret savait le dissimuler parfaitement à son entourage. Pour ses collègues masculins, il restait un chirurgien d'excellente réputation et un gestionnaire hors pairs. Quant aux femmes, les avis divergeaient... Mais le vivier était assez conséquent pour qu'il puisse claquer une paire de fesse quand il en avait envie.

Il revint à la réalité à la minute Candy sortit de la chambre. Il soupira, las, le cerveau prêt à imploser.

— Bonsoir Docteur. Que faites-vous encore ici à une heure aussi tardive.

Bret avait passé la journée à l'hôpital et ne c'était accordé qu'une courte pause au déjeuner. Cette histoire avec ce patient inconnu le préoccupait.

— Bonsoir Candy ! Je venais m'enquérir de la santé de notre patient ? Comment se porte-t-il ?

— Vous le savez sans doute mieux que moi docteur. Les premières heures sont déterminantes. S'il passe la nuit, nous pourrons statuer sur son avenir avec plus de précisions. En attendant il nous faut attendre son réveil pour en savoir davantage sur les séquelles neurologiques. Et si vous croisez l'infirmière qui s'est occupé de lui poser son pansement, vous ne lui transmettrez pas mes compliments.

Bret sourit et plissa les yeux. Les mots restèrent dans sa bouche avant qu'il ne les lâches.

— Vous savez Candy, vous êtes extraordinaire !

— Merci Docteur, mais il est important de faire son travail correctement lorsque la vie d'un homme est entre nos mains.

La jeune femme avait le regard rivé dans le sien et attendait que le médecin confirme ses propos, chose qu'il fit en acquiesçant d'un mouvement de tête. L'heure tardive et la tension de la journée l'empêchait de raisonner correctement.

Elle avait un joli petit cul dans sa blouse blanche. Il secoua la tête pour reprendre ses esprits. Elle en arrivait presque à lui faire oublier « John Doe ».

— J'ai beaucoup à faire, cela vous ennuierait de m'informer dès son réveil ? Demanda-t-il.

Une idée commençait à germer dans sa tête et Candy pourrait y avoir un rôle déterminant.

Candy, hésita avant de répondre. C'était la première fois que le docteur Milano s'intéressait avec autant de ferveur à une intervention post opératoire.

— Bien sur docteur, j'enverrais quelqu'un vous prévenir.

— Non, s'il vous plaît, contactez-moi plutôt sur mon téléphone, ce sera plus simple, dit-il en déposant sa main sur l'épaule de Candy.

Il sortit une carte de visite de sa blouse et nota le numéro de son portable au dos avant de reprendre.

— A n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. N'oubliez pas ! C'est très important.

Candy saisit la carte entre ses doigts et la rangea dans la poche après y avoir jeter un œil.


MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant