John

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À son réveil, Claire reposait sur le sol, couchée sur le dos, les bras étendus le long du corps. Le carrelage froid transperçait ses vêtements et lui glaçait les os. Un silence de mort, sinistre et pesant, régnait tout autour. Au plafond, le néon blafard des toilettes diffusait sa lumière triste et mélancolique. Les odeurs de sang, mêlée à l'urine, lui confirmèrent qu'elle n'avait pas bougé d'un pouce. Elle battit des paupières une première fois puis tourna péniblement la tête sur le côté. Les vertiges l'assaillirent instantanément et firent danser les graffitis sur les murs décrépis. Elle fixa la croix du Christ dessinée maladroitement au feutre noir sur le distributeur de préservatif.

Sujette aux maux de tête et aux étourdissements, la jaune femme n'avait trouvé que cette parade pour s'en débarrasser ponctuellement. Le vrai remède, elle le connaissait : du repos, du repos et encore du repos. Elle poussa un grognement sourd quand une vilaine migraine vint toquer aux portes de sa conscience ; l'alcool et les médicaments n'étaient pas faits pour s'entendre. Elle entendait déjà la petite voix moqueuse, cachée dans les limbes de son cerveau, lui reprocher son état et son manque de discernement.

— Oh, ferme-la, réussit-elle à murmurer. Je suis en vie, c'est tout ce qui importe.

Claire entreprit de se relever, sans succès. Sa respiration était régulière et elle ne souffrait nulle part. Un bon point. Elle soupira et tenta de se remémorer les derniers instants avant sa chute. Lou à terre, les deux adolescentes alcoolisées, les secours... Et les mains puissantes qui l'enserraient.

Ses yeux s'écarquillèrent sous la terreur.

Elle ramena ses mains à hauteur de sa gorge. Où était son agresseur ? Pourquoi était-elle encore en vie ? La panique prit rapidement le dessus et ses membres s'agitèrent en tous sens.

— Doucement Claire ! Reste tranquille, tu risques de te blesser.

Un homme.

La voix calme et posée venait de derrière elle.

— Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? sanglota-t-elle comme si les dés pipés venaient d'être lancés.

L'homme ricana et s'approcha de sa victime. Penché au-dessus d'elle, elle ne vit que la seringue qu'il tenait à la main.

— Une chance pour toi que les collègues ont oublié une partie du matériel. Sans quoi tu passais toute la nuit enfermée ici.

Cette voix, elle la reconnut : John ! Il ne s'agissait pas de son agresseur, mais du secouriste au sourire ravageur qui leur rendait visite au Memorial Hospital.

— J'ai eu une sacrée frousse, se contenta-t-elle de dire en relâchant l'ensemble de ses muscles.

— Tu es restée inconsciente quelques minutes. Je n'ai eu le temps que de te retenir lorsque tu t'es effondrée. Je vais t'aider à t'asseoir. Il faut y aller progressivement.

— Et la seringue. C'est pourquoi ?

— Ce n'est rien. Juste ! Un déchet que j'ai ramassé près de l'entrée. Elle doit appartenir à un junkie. Prends ma main, je vais t'aider.

Claire saisit la main tendue et s'assit sur le sol. John la dominait par son imposante stature et continuait de distiller un sourire rassurant.

La jeune femme passa la main dans ses cheveux collants et ne put réprimer un haut-le-cœur. Son propre corps la dégoutait. Elle aurait voulu le quitter, l'abandonner, mais ce plaisir lui était interdit.

La scène semblait irréelle. Elle gisait sur un sol à l'hygiène désastreuse et devait ressembler à une moins que rien, une trainée. Pourtant John la regardait avec bienséance... Le rôle inversé de la Belle et la Bête...

MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant