Première rencontre

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Kurt flottait entre deux mondes, libéré des tourments infernaux.

Tout était flou, brumeux, sans vie.

Un nuage vaporeux étreignait de son linceul la carcasse décharnée du condamné. Cloué sur son lit, Kurt essayait de se mouvoir. Il exigeait de ses muscles de se mettre en branle sur le champ, mais le moindre geste consumait une quantité considérable de son énergie qu'il n'était pas prêt à abandonner. Son âme s'égarait dans un corps meurtri et affaibli. Sa cage thoracique l'oppressait et manquait de rompre ses côtes à chacune de ses inspirations. Le mal gravitait autour de ses organes, prêts à fondre sur les ruines encore fumantes de son existence.

Une onde de choc plus intense que les précédentes traversa ses tissus organiques et déversa un torrent de douleur dans le creux de sa poitrine. Sans réussir à exprimer avec des mots la souffrance qui le rongeait, Kurt poussa un faible râle, à peine audible.

Il déglutit péniblement. L'effort demandé était colossal et arrachait à sa trachée une épreuve supplémentaire et imprévue.

Ses paupières frémirent faiblement, charmées par le son d'une douce voix, mélodieuse.

La mort venait-elle réclamer son dû ?

Le son se déplaçait tout autour de lui et l'enveloppa de ses bras protecteurs. Un véritable cocon de douceur prit possession de tout son corps et le priait d'abandonner le combat pour se lover en son sein. Le paradis s'ouvrait devant lui, au bout d'un long tunnel translucide et lumineux.

Il voulait se rebeller, empêcher la Camarde de s'emparer de lui, mais il était trop faible pour lutter. La mort convoitait son âme et lui promettait les délices qu'une vie n'avait pu assouvir.

Kurt continua de divaguer, entrainé par la grande Faucheuse, vers sa dernière demeure, sans réelle volonté de se battre. Il était fait comme un rat de laboratoire, une âme égarée et prisonnière du néant.

Tout s'accéléra !

Lorsque le fragile filin de la vie s'apprête à céder, nos croyances et nos coutumes nous poussent à revivre notre vie en une fraction de seconde. Un défilé ininterrompu de données s'entrecroise dans les méandres de nos cerveaux et se déverse dans le néant, oublié de tous. Pour Kurt, l'ultime moment était différent : aucun souvenir familier ne s'imposa. Pire, il ne reconnaissait pas les évènements qui avaient jalonné son existence. Sa mémoire lui proposait une parodie de vie et des images sans saveurs. Les visages, les sons, les lieux... rien ne lui appartenait.

Sa mémoire s'effaçait sans lui laisser aucune autre possibilité que d'accepter la triste évidence : la damnation l'attendait à la fin de son périple.

Le souffle doux d'une main qui vint effleurer son poignet ramena sa lucidité au premier plan. Il s'était habitué au chant méphistophélique, allant jusqu'à l'agglomérer à son propre état d'inconscience. Un moment intemporel dans cette fragile réalité. Et cette caresse, subtile et inodore, chamboula l'ordre des choses.

La vie s'imposa.

Il se débattit violemment pour échapper à sa destinée, s'accrocher au point luminescent qui s'agitait devant ses yeux. Il fit le vide autour de lui, chassa les démons un à un et se rapprocha de l'incandescence. Quand elle envahit entièrement l'espace, il ouvrit les yeux, les poumons prêts à exploser.

— Claire ! réussit-il à articuler.

La voix devint plus humaine, féminine.

Une soudaine agitation prit le relais. Des hommes en blancs, des médecins, s'affairaient autour de lui et l'assaillaient de questions. Pour toute réponse, il avait prononcé un seul prénom : Claire ! C'était le seul qui s'était imposé avec force.

MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant