Urgence

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Les pompiers venaient d'entrer dans la cour centrale des urgences, toutes sirènes hurlantes, suivi de près par la voiture rutilante du shérif. Comme à chaque alerte, les couloirs du Memorial hospital s'animèrent en une fraction de seconde. La confusion ne régnait qu'un bref instant, le temps que le personnel, rompu à l'exercice, retrouve ses réflexes et s'organise naturellement. Il en allait ainsi à chaque intervention depuis la reprise en main du service par le docteur Bret Milano.

Le chirurgien abandonna sa proie et se dirigea au pas de courses en direction des urgences. Sur son chemin, ses collègues se joignaient à lui. Tous avaient le visage grave. Les informations arrivaient au compte-goutte. Le petit personnel s'écarta pour laisser passer le convoi dans le couloir. Betsy prit la parole la première et s'adressa au docteur Milano.

— Nous avons un homme en état d'hypothermie, inconscient, avec une fracture ouverte à la jambe droite et des hématomes sudorales sur la cage thoracique.

— Chaud devant ! hurla un ambulancier qui déboulait derrière eux.

Sur le brancard qu'il poussait, un vieil homme avec une insuffisance rénale gémissait sous la douleur. Le docteur Milano avait accueilli sa femme le matin même et avait dû lui apprendre que l'état de son mari s'était irrémédiablement dégradé ; elle devait prendre ses dispositions rapidement. Le convoi funèbre tourna à l'angle et disparut.

— Son âge ? interrogea Bret en s'adressant à Betsy.

— Environ trente ans, mais il est salement amoché. Elle tendit une feuille de soin que le médecin arracha à la volée.

— Quelqu'un se charge de prévenir sa famille ? Qu'ils viennent au plus tôt.

— Evan est sur le coup, mais nous n'avons pas trouvé de papier d'identité.

— Un signe distinctif peut-être ?

— Juste un tatouage à l'intérieur de l'avant-bras avec le prénom Mary, cerné par deux ailes. Rien de plus.

Le chirurgien considéra sa collègue du coin de l'œil. Si l'homme n'était pas assuré, il ne pourrait pas s'acquitter des frais d'hospitalisation. Du grain à moudre pour les administrateurs, songea-t-il. Mais pouvait-il agir autrement ? Son devoir consistait à sauver des vies, le reste n'était que politique. Comme à chaque fois qu'il devait se justifier auprès du consortium, il répéterait la même litanie : « Que penseront les citoyens de Castle Grey lorsque la presse s'emparera de l'affaire ? Que penseront ils de l'intérêt gargantuesque que vous portez à leur bourse, et que cet appétit passe avant leur propre santé ? ». Ces questions faisaient mouche et refroidissaient les ardeurs des plus récalcitrants, surtout les notables de la ville qui avaient investi en masse dans la réfection du bâtiment principal. Pour combien de temps encore, cette stratégie ferait illusion ?

Betsy l'interrogea du regard. Elle comprenait les implications que la situation imposait. Le moindre faux pas leur était interdit. Chaque décision qu'ils prenaient avait une conséquence sur l'avenir des employés.

— Préparez le bloc, nous le prenons en charge immédiatement. Bret rendit la feuille à l'aide-soignante et ne s'occupa plus d'elle. Elle partit en trombe en direction des services administratifs. La paperasse était le domaine de Betsy et elle excellait dans son travail.

Le docteur Milano s'était battus avec d'autres chirurgiens, pour conserver le bloc opératoire de l'hôpital. Les membres du conseil d'administration avaient voulu le fermer au titre qu'il n'était pas assez rentable. Le fric, toujours le fric. Il n'y avait que ça qui animait les actionnaires. Le bien-être des patients, le besoin vital de ce service pour la ville leur passait au-dessus de la tête. A chaque intervention, le docteur Milano se donnait corps et âmes dans son travail. Le maire était un allié de poids, mais il savait qu'il ne serait pas toujours en poste et que tôt ou tard, le doyen aurait raison de sa ténacité. Les services fermeraient les uns après les autres, laissant à Castle Grey, un hôpital de campagne réduit au strict minimum. Comment pouvait-on être à ce point aussi calculateur et faire fi de la compassion et de l'empathie ? Ces gens n'avaient rien d'humains et n'avaient que faire du serment d'Hypocrate. En connaissait ils seulement l'existence ?

Lorsqu'ils arrivèrent au bloc, le docteur Stephen était déjà prêt à réceptionner le patient que les pompiers acheminaient. Deux infirmières l'aidèrent à enfiler sa blouse et la nouèrent dans son dos. Les internes préparaient les instruments chirurgicaux qui serviraient à nettoyer et réparer les blessures de la victime. L'anesthésiste se concentrait dans son coin en s'isolant. Le docteur Milano le vit prier et faire un discret signe de croix, comme à chaque intervention. C'était un homme très catholique qui pensait être investi d'une mission que le seigneur lui avait personnellement confié. En dehors de cette bizarrerie, c'était un praticien très compétent. Bret lui aurait confié sa vie sans l'ombre d'une hésitation.

Le brancard déboula à l'entrée du bloc. Le docteur pouvait voir à travers la vitre, un secouriste penché au-dessus de la victime qui prodiguait un massage cardiaque.

C'était rarement bon signe.

— Préparez le défibrillateur ! ordonna-t-il.

— Sa petite cour comme il l'aimait l'appeler s'afféra dans tous les sens. Les monitorings furent branchés et le patient près à être accueilli.

Le brancard fit irruption dans le bloc.

— 1, 2, 3...

— On prend le relais ! Vite. Infirmière. Il est en arrêt depuis combien de temps ?

— Moins de deux minutes. Il a convulsé en sortant de l'ambulance.

Le secouriste céda sa place, exténué. Un interne l'aida à rejoindre ses collègues et referma la porte derrière lui. Sans prendre la peine de le placer sur le lit, ils commencèrent à prodiguer les soins. Les capteurs vinrent se placer sur sa poitrine contusionnée.

— Préparez à 200.

Le bruit caractéristique de la machine qui se mettait en marche siffla dans le bloc.

— On dégage, attention.

La décharge fit sursauter le corps. Sur le monitoring, l'électrocardiogramme resta lisse. Les visages fermés, le personnel resta muré dans un silence à l'écoute du moindre signe encourageant.

— On reprend à 400 ! lança Bret.

La décharge eu cette fois-ci plus de succès. Le cœur se remit à battre. Ils venaient de ramener de la mort le pauvre bougre. Rien n'était pourtant encore gagné. Le choc avait provoqué des lésions sur les côtes fragilisées du jeune homme. La morphine l'aiderait à calmer la douleur.

— On s'occupe des blessures les plus graves et on le maintien en état. Il est trop faible pour espérer mieux.

Sa jambe était dans un état déplorable. La fracture n'était pas vieille, mais elle était restée dans l'eau croupie pendant plusieurs heures et il était nécessaire de la nettoyer avant toute opération. Le docteur Stephen s'en chargea, assisté de Caroline et Mickaël, deux internes qui venaient du New Jersey. Sur la pendule murale, les heures défilèrent. Les médecins et infirmières se relayaient pour soigner le patient. Bret fut le seul à superviser les soins du début à la fin de l'intervention.

MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant