Elle avait ce petit quelque chose que les autres n'avaient pas, cette vision perdue au loin sur chaque cliché, son expression lasse et affligée. Une façon bien à elle de jouer avec quelques mèches de ses longs cheveux sombres, de pincer les lèvres sans jamais laisser savoir ce qu'elle pensait réellement de son interlocuteur, des yeux félins capable de fusiller n'importe qui en une fraction de seconde.
Des années auparavant on lui avait reproché d'être trop mature pour son âge, de ne pas profiter de sa jeunesse, de manquer d'insouciance. Elle avait grandement souffert contrairement aux autres gamins de son entourage, et en gardait des cicatrices indélébiles, se protégeant maladroitement en étant constamment sur la défensive. Agressive et cassante on ne présageait que des épines sur son corps délicieux.
Puis un jour, il était arrivé, écrasant sur son passage chaque barrière qu'elle avait su ériger. Corps et âme elle s'était donnée sans compter, prête à raser des cités entières pour son beau regard azur. Tout cela en vain. Elle changeait au plus grand déplaisir de certains et agacée de se battre avec le vent, elle s'était habituée à se comporter en garce impitoyable, régnant dans un monde où l'amour implosait dans son cœur. Jusqu'à cet instant maudit où il la jeta comme une traînée sur le bas côté de la route, abandonnée à son triste sort. Je haïssais ce salaud qui lui avait brisé les ailes, mais qu'elle admirait encore éperdument. Un ange déchu.
Malgré cela, qu'on l'aime ou qu'on la déteste quand elle entrait dans la pièce on ne voyait plus qu'elle, sa démarche gracile et ses gestes délicats. C'était une beauté simpliste avec ce je-ne-sais-quoi qui la rendait inaccessible. Les seuls à s'y risquer devaient être fous ou désespérés pour oser tenter leur chance. Elle les évinçait respectueusement comme une femme qu'elle n'était pas censée être, pas à son âge en tout cas, pas selon moi.
Une princesse des temps modernes enfermée non pas dans un palais luxueux, mais dans la souffrance la plus totale. On pouvait même jurer qu'elle se complaisait dans cet état masochiste, mais comment lui en vouloir ? Quand on a connu que cela toute sa vie, la douleur est une forme de sécurité. Malsaine certes, mais rassurante. Et c'était peut-être ce qui me fascinait tant chez elle.

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Beautiful Pain
PoesíaFaut-il souffrir pour créer ? Je ne le crois pas, néanmoins je ne suis jamais plus inspirée que dans mes instants mélancoliques. Réfractaire aux larmes et longues conversations autour d'un verre, je m'épanche sur ma feuille rédigeant sans honte cita...