Anolexi

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La nuit s'installe et la ville s'endort paisiblement malgré les ronronnements de moteur et les crissements de pneus sur l'asphalte. Alors que ma famille s'égare au pays des rêves je déambule encore une fois, soumise à la solitude, dans les couloirs de mon sanctuaire. Il me défie sournoisement à chaque angle de mur, s'étalant dans toute la largeur, c'est perpétuel il trouve toujours le moyen d'apparaître : mon reflet. Chaque pièce est ornée d'un miroir, de gabarit différent, l'objet maudit me renvoie toujours cette terrible image. Je fais mine de l'ignorer, continuant ma quête vers les tentations de la cuisine. Et c'est là que tout s'amorce sous le même schéma écoeurant : sucré, salé, cuit, cru, gras ... Je m'empare de tout ce qui me tombe sous la main, c'est compulsif et alors que je me saisis d'un yaourt j'engloutis en même temps quantité de fruits secs en espérant que cela contentera mon estomac. Mais cela ne suffit pas, j'enchaîne les aliments sans aucune logique, capable d'ouvrir une boîte de thon après un carré de chocolat, un quignon de pain sec, et je regarde les étiquettes, les précieuses ... J'observe dubitative, je compte et j'ingurgite sans aucun plaisir par ci par là, en espérant que demain personne ne se doutera que c'est moi. J'accuserai mes frères au pire des cas, ils sont en pleine croissance mes parents ne leur diront rien. J'ai connu la faim, c'est là que tout a commencé. Les privations, la honte, le dégoût de soi et l'envie de manger qu'on réprime pour en laisser davantage à la plus jeune de la fratrie, parce qu'on les aime .. On les aime plus que tout. Et au collège rien n'allait jamais. L'intello disaient-ils, la fille démodée aux vêtements trop larges, ceux que des amies à ma mère me donnait gentiment, la plus moche de sa bande de copines, celle qu'on ne regarderait jamais.

Je poursuis mon incartade, les miettes saupoudrent la table comme une armée de petits soldats ligués contre ma personne, ma cuillère plonge encore une fois dans le pot de pâte à tartiner, mais elle me débecte, son goût me donne la nausée mais j'insiste lourdement. Mon estomac brûle de se taire depuis des jours entiers, il veut dicter sa loi, ma gorge se serre elle ne peut supporter les sanglots de culpabilité que je refrène par habitude. J'avale cette ultime bouchée, léchant l'ustensile pour ne laisser aucune trace et un reflet de lumière sur le dos de ce dernier me ramène à l'instant présent. Je devine dans le métal vieilli ma silhouette floue ... Ce que je vois me laisse perplexe. Je suis laide. Grosse. Le regard vitreux, pas une once de confiance en soi. Inutile, mal foutue, un amas de cellulite, la peau flasque, les cheveux ternes, les mains potelées. Rien ne va. Je suis un monstre. Un monstre qui dévore tout sur son passage et qui fait peur aux autres. Mon apparence les fait tous fuir, j'en suis certaine. Rien à voir avec ces gravures de mode affichées partout sur les quais de métros que je foule quotidiennement, pas un poil de ressemblance avec ces poupées Barbie qui avaient profané mon innocence, ces créatures de rêves que l'on vénère.

Je persiste à m'observer et je me vois grossir, encore et toujours, tel un ballon que l'on gonfle. L'émotion me submerge, la pression s'exerce contre ma poitrine, je tremble, mon coeur se serre douloureusement, il cogne fort et rapidement. Je le sais. J'ai peur mais je dois, je ne peux garder tout cela en moi : il me faut vomir. Je suis habituée, je n'ai pas besoin de me forcer, c'est devenu un rituel. Une torture nécessaire à mon bien être personnel. Je me sens mieux une fois la chasse d'eau tirée. La balance est là. Dans le coin, je monte dessus, l'aiguille vacille, elle me détruit à chaque fois qu'elle fait cela. Le chiffre descend encore et pourtant je me sens de plus en plus grosse. Affreuse, dégueulasse, bonne à rien si ce n'est à jeter. Je sais ce que cela veut dire mais je me refuse à l'accepter. Je ne suis pas malade, je suis enrobée nuance, je ne mangerai pas de toute la semaine, comme d'habitude je saurais facilement glisser le contenu de mes assiettes au chien. La fatigue a raison de ma personne et je file me coucher sans un bruit, honteusement je me glisse dans mes draps en pensant à ce qui vient encore de se passer. C'est perpétuel cela fait si longtemps. C'est douloureux, c'est affligeant mais je me sens si mal, si seule. Un jour je serai parfaite ...








L'anorexie est une maladie mentale. Pas un état morphologique, pas un jeu, pas un effet de mode. C'est un mal qui ronge durant des années et s'arrache avec le temps, à force de patience, de courage et d'un environnement le plus sain possible. C'est un long chemin dont on ne s'écarte jamais totalement, à chaque grosse embûche dans la vie, elle se présente par l'une des voies. Il n'appartient qu'aux gens touchés de se battre pour en sortir, d'accepter les mains qu'on peut leur tendre et de tout tenter pour vivre une vie meilleure. Le corps n'est qu'une enveloppe ce qui compte ce n'est pas ce que nous semblons être, c'est ce que nous sommes au fond de nous. Là se tient la véritable beauté de quelqu'un. La santé est un pilier essentiel à toute vie, alors si vous en avez la possibilité gardez là. Pour vous comme pour vos proches, et si vous n'en avez plus ... sachez qu'un cercle de connaissance peut se recréer à tout moment. Soyez en paix avec vous-même, pour être en paix avec les autres. Respectez vous si vous désirez respectez les autres et aimez vous ... si votre plus grand désir est de vous faire aimer en retour. J'ai hésité à poster ce texte qui me touche plus que je ne veux bien l'admettre, il est très vieux, sorti tout droit d'un carnet que je ne pensais pas rouvrir un jour. Mais j'ai choisi de faire de l'écriture ma thérapie, d'assumer mes erreurs et de les dépeindre pour me faire du bien avant tout.

Beautiful PainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant