Versipellis - L'héritier de la Meute

Chapitre Huit

Les jours se succédaient mais ne se ressemblent pas, disait-on. Josh aurait bien voulu étriper celui qui était à l'origine de ce dicton. Il s'ennuyait à mourir. Si leur venue en Suisse aurait dû être une sorte de prison pour Arsène, il avait plutôt l'impression qu'elle était la sienne. Son meilleur ami sortait, voyait du monde et prenait ce voyage comme une aventure. Pour lui, c'était tout simplement le bagne.
Il ne savait que trop bien ce qui l'avait mené là. Il savait que ç'avait été la seule solution pour lui éviter la mort lors d'un duel perdu d'avance. Mais il commençait à se dire que la mort aurait peut-être été préférable. Qu'était-il après tout ? Une simple tache, un rebus génétique au sein d'une meute qui ne voulait pas de lui. Même sa famille ne pouvait accepter sa condition. Il s'appelait Josh, un nom banal pour un homme banal. De sa fratrie, il était le seul à avoir un nom de blanc. Un nom qui n'avait aucun sens. Sahale. Rien que d'y penser, il avait envie de frapper quelque chose. Celui qui est au-dessus. C'était lui qui était au-dessus, pas ce foutu frère irrespectueux. Le prénom de ce cadet était révélateur. Ses parents voyaient en Sahale le loup que Josh n'était pas. Celui qui dominait son ainé ! Lui n'était que l'enfant non-désiré, le non-loup. Celui qui méritait de disparaître, bon à oublier. Bon à crever.

Il broyait du noir. Plus que le jour d'avant, moins que le lendemain. Chaque journée passée ici le rendait un peu plus amer. Il avait l'impression qu'il devenait fou. Arsène et Victoria avaient une vie à l'extérieur. Il ne voyait pas Alya en journée car elle était trop occupée avec les affaires du Clan et Arthur, il ne savait même pas comment Arthur faisait pour occuper ses journées ! Qu'est-ce qu'il aurait donné pour savoir ce qu'il faisait.

Cela faisait plusieurs semaines qu'ils étaient ici. Et les choses connaissaient une évolution. Il voyait bien que la relation entre Ars' et Vicka était redevenue ce qu'elle était il y a quelques années. Ils étaient distants, bien plus que lorsqu'ils étaient arrivés. Il y avait quelque chose, mais quoi ? Lorsqu'ils revenaient des cours, Josh essayait bien de les faire parler, ne serait-ce que pour entendre des anecdotes croustillantes et tromper l'ennui. Mais leurs récits étaient toujours plats. Malgré ça, l'amérindien rêvait toujours que leurs places soient inversées. Seulement pour voir autre chose que les quatre murs de sa chambre. Car c'était bien la seule chose qui n'évoluait pas ici : sa situation. Condamné à vivre reclus à cause d'un vieux loup égocentrique et mégalo.

Il soupira longuement en ressassant tous les griefs qu'il avait contre l'un ou l'autre, justifiés ou non. Il avait espéré qu'Alya lui donne une tâche à faire ici, quoi que minime. Mais elle ne semblait pas s'intéresser à cette paire de bras qui pouvait se montrer utile. C'était comme si elle n'avait pas conscience que Josh avait fait partie du voyage.
C'est alors que, lassé de tout mais surtout de lui, il décida de sortir. Pour aller où ? Il n'en savait rien mais il prit sa veste et claqua la porte moins de deux minutes après. S'il avait voulu aller en ville, il aurait très bien pu emprunter l'un des bolides qui sommeillaient au garage, mais il ne savait où il voulait. Ou plutôt s'il voulait aller dans un endroit en particulier. Alors il marcha, laissant ses pas le guider.

L'air était frais cet après-midi et le soleil avait du mal à percer les nuages. L'automne se préparait doucement et il commençait à sentir ces odeurs si particulières qui ne lui déplaisaient pas. Sa morosité semblait disparaître à chaque mètre qu'il faisait.

Comme le chalet se trouvait sur les hauts de Genève, il lui fallut une bonne heure pour atteindre le centre-ville. Il n'était pas vraiment habitué à la vie citadine. Ils vivaient assez loin de Québec et, même si Jos était le plus humain de sa race, il sortait rarement du domaine. Du moins, lorsqu'il le faisait, ce n'était pas pour aller trainer dans les rues. C'était donc la toute première fois où il avait du temps à perdre dans le monde des hommes.
Il connaissait beaucoup de choses de ce monde, ce n'était pas comme si le Clan était une secte. Mais Josh ne pouvait s'empêcher de regarder les bâtiments et surtout les gens qui l'entouraient. Il avait une drôle de sensation, qui n'était pas désagréable. Malgré le soleil timide, les rues commerçantes étaient bondées. Des inconnus pressés ou au contraire flânant déambulaient sans faire attention à leur prochain. Sans faire attention à lui, aussi. Au Manoir, tout le monde se connaissaient et tout le monde savait qui était le non-loup. Là où il passait dans la propriété, Josh était dévisagé, les loups faisaient un pas sur le côté pour s'éloigner encore un peu plus de lui. Tout ça parce qu'il était différent. Mais ici, il était un humain parmi les autres. Il se sentait comme tel et rien ne semblait vouloir lui affirmer le contraire. Il se sentait à sa place.
Un sentiment de satisfaction s'empara de lui tandis qu'il admirait les façades des boutiques sans même les voir. Il se disait qu'il aurait dû faire cette petite promenade bien avant. Et pourtant ... Il avait cru que rien ici ne voulait lui rappeler sa véritable place. Mais il tomba nez-à-nez avec une affiche publicitaire. Ce n'était pas grand-chose et cependant cela suffit à le faire douter. Une publicité qui vantait un parfum en utilisant une photo d'un loup au regard vif. "Retrouvez votre instinct animal." Le slogan était pour le moins douteux, mais il interpella Josh. Il s'arrêta un instant pour dévisager ce loup. Cette affiche sous-entendait tellement de choses pour lui. Avait-il l'instinct de la meute ? Etait-ce pour cela qu'il n'était pas capable de se transformer ? Où était vraiment sa place ? Etait-il réellement un homme ? Toutes ces questions se bousculaient dans son esprit et elles l'excédèrent. Fronçant les sourcils, il reprit son chemin d'un pas décidé.