Chapitre Seize

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La voiture roulait en silence dans les rues de Genève. Seul le bruit du moteur, des accélérations et parfois de la boite de vitesse brisait ce silence pesant. Arsène conduisait mais n'avait jamais été aussi tendu au volant. Cela faisait plusieurs dizaines de minutes qu'il n'avait rien dit et il avait à présent l'impression que sa gorge était en feu. C'était comme s'il voulait, au plus profond de lui, parler mais qu'il en était incapable. Il n'avait pas vraiment quelque chose de particulier à dire, ce n'était pas important d'ailleurs. Il voulait simplement briser le silence avec des mots, qu'importe. Mais il n'y arrivait pas. Il n'osait pas même jeter un coup d'œil à son passager, préférant se concentrer sur la route sans réellement la voir. Son corps agissait tout seul, son cerveau prenait des décisions sans même qu'il en ait conscience. Il était bien trop occupé à trouver un moyen de vaincre le mutisme qui l'avait envahi.

A côté de lui, Marianne était tout aussi silencieuse. Mais ce n'était pas aussi contrasté que chez lui. Le matin, elle l'avait appelé pour savoir s'il pouvait la ramener chez elle. Il avait bien sûr accepté. Mais lorsqu'il était arrivé dans la chambre 117 de l'hôpital civil de Genève, la jeune femme s'était tue. En fait, depuis qu'Arsène était allé la voir, il y a trois jours de cela, Marianne n'avait pas beaucoup parlé. Encore moins à lui. L'attaque étrange dont elle avait été la victime la rendait malade et elle s'était renfermée depuis. Et la façon dont elle avait pleuré dans les bras d'Arsène en pensant à cet évènement la gênait. Elle avait l'impression que tout allait être plus compliqué maintenant. Avec lui ? Pas uniquement mais en grande partie. Elle avait peur qu'Arsène s'imagine des choses, elle avait peur qu'elle-même s'imagine des choses. Elle n'était sûre de rien et ce encore moins depuis quatre jours. Alors elle préférait se taire et réfléchir. Trouver une solution avant de parler et de dire ou faire quelque chose qu'elle regretterait ensuite. Et puis, en se taisant elle était sûre de ne pas craquer à nouveau. Elle ne voulait plus craquer. Elle voulait se montrer forte mais au fond d'elle elle savait qu'il suffirait d'un rien pour que sa carapace de silence ne se brise.

Ainsi jamais cette voiture n'avait connu d'atmosphère si pesante. Arsène n'avait pas mis la radio. Ça n'aurait fait qu'accentuer encore plus le manque de dialogue entre eux deux et la gêne qui s'était installée dans l'habitacle muet de la voiture. Néanmoins, alors que la voiture s'engageait dans un quartier résidentiel, Arsène osa briser le silence en demandant d'une voix mal assurée et devenue rauque à cause du silence qu'il s'était imposé :

- C'est par là, non ?

Marianne eut un hoquet de surprise en l'entendant. Elle ne s'attendait absolument pas à ce qu'il prenne la parole. Elle s'imaginait -ou peut-être espérait- que le trajet se fasse dans le silence le plus total pour qu'elle n'ait pas à parler elle-aussi. Elle mit un certain temps à répondre, comme si elle ne réalisait que maintenant qu'Arsène avait parlé.

- Heu ... Oui, oui ! assura-t-elle sans pour autant tourner la tête vers Arsène. Sa voix trahissait son malaise et elle s'en maudit intérieurement. C'est la maison-là, à droite.

Arsène se gara aussitôt devant la maison que lui indiquait Marianne. Elle paraissait minuscule pour Arsène qui avait toujours vécu dans le dédale de couloirs du Manoir à Québec et plus récemment dans l'immense chalet surplombant le lac Léman. Elle n'avait rien de bien exceptionnel, un crépi d'une banale couleur crème, une vieille porte en bois massif qui était percée par des carreaux devenus opaques par leur exposition aux intempéries, une petite cour et un jardin dans son prolongement, le tout ceint d'une haie qui n'avait pas vu de taille-haie depuis longtemps.

- Oui, je sais. Ça ne paie pas de mine, fit Marianne comme si elle avait lu dans les pensées d'Arsène. Il s'était pourtant bien gardé de faire tout commentaire ! Mais c'est chez moi.

Versipellis - L'héritier de la MeuteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant