Chapitre Dix-Sept

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Arsène mit bien moins de temps à revenir au Chalet. Durant tout le trajet, il se força à se focaliser sur la route, la circulation, le monde qui l'entourait. Il ne voulait pas, ne serait-ce qu'une seconde de trop, penser au malaise qu'il avait ressenti et qu'il ressentait toujours. Il se disait que lorsqu'il serait de retour à la maison, tout irait mieux.
Mais la vérité, c'est qu'il ne se sentit pas beaucoup mieux une fois qu'il eut franchi le portail de la propriété et qu'il eut garé la voiture sur le chemin de gravier qui menait jusqu'au garage. Non, c'était même pire. Il ouvrit la portière et se hissa à l'extérieur, haletant comme s'il venait de courir. Le flot de ses pensées afflua alors, sans qu'il puisse le refouler. Assailli par son propre esprit, il erra jusqu'à la porte d'entrée devant laquelle il se stoppa. Il semblait vide, pourtant il avait mal à la tête tant il réfléchissait.
Marianne, le monstre, son propre devoir et son désir de dire à la jeune femme tout ce qu'il voulait tant lui dire. Tout ça se mélangeait en lui et ne faisait qu'accroître son malaise. Maintenant, il n'avait plus seulement mal à la tête, mais aussi mal au ventre, comme si une boule énorme s'y était logée et ne voulait plus en sortir.
Il ne savait pas quoi faire pour oublier son mal-être. Parler, discuter avec quelqu'un ? Ce n'était pas la peine d'essayer d'engager la conversation avec les Ash. Il aurait pu dire ce qu'il ressentait à sa grand-mère, mais il y avait un sujet qu'il ne pouvait pas aborder avec elle et sur lequel elle serait intraitable. Rien que d'y songer, la boule dans son ventre se fit plus présente. Restait alors Josh. Mais là non plus, ce n'était pas possible. Son meilleur ami semblait s'être éloigné de lui ces derniers temps et il doutait de pouvoir avoir une discussion constructive et vide d'amertume avec lui. Cette pensée fit accroître son anxiété. Il ne voulait pas non plus penser à Josh parce que cela, plus que toute autre chose, lui faisait mal au cœur. Qu'avait-il fait pour que son meilleur ami ressemble de plus en plus à un étranger pour lui ?

Comprenant alors qu'il n'allait pas réussir à noyer son malaise à l'intérieur du Chalet, Arsène fit volte-face et se tourna vers le petit chemin au fond du jardin et la forêt où il menait. Comme une pulsion, un instinct sauvage, il savait que c'était là-bas qu'il se sentirait mieux. Alors il oublia les interdits de ses grands-parents, oublia que Victoria et Arthur étaient là pour l'empêcher de "fuguer" à nouveau. Il retira ses chaussures, se déshabilla frénétiquement et se transforma avant de se ruer dans les bois.

En quelques foulées lestes, il arriva jusqu'à l'orée de la forêt qu'il dépassa sans même un regard. L'idée que Josh se soit perdu la dernière fois qu'il s'était aventuré dans la nature passa fugacement dans son esprit mais il la balaya. Il n'était pas Josh. Il était un loup, lui. Rien ne pouvait lui arriver. Il était maître en ces bois.
Alors qu'il zigzaguait entre les arbres, sautait avec habilité au-dessus du tronc qui bloquait le chemin, il oubliait tous ses tracas. C'était comme s'il n'était plus Arsène mais simplement un loup qui cédait et se remettait totalement à ses instincts. Ses pattes le guidaient à travers la forêt sans même qu'il ait besoin d'y réfléchir. Il analysait son environnement d'un simple coup d'œil, prenait les décisions qui s'imposaient à la seconde où il fallait. Tous ses sens étaient sollicités dans cette course folle. Un prédateur agile et puissant.
Mais il n'avait nullement l'intention de chasser un chevreuil ou un sanglier. Même s'il était deux fois plus gros qu'un loup normal et bien plus puissant, il restait en lui l'instinct de la chasse en meute. Il ne chassait pas seul. Il ne chassait d'ailleurs pas tout court. La sensation de laisser libre-court à son esprit animal était grisante mais ils restaient tout de même, lui et les siens, des êtres civilisés et quasi-humains. Cela faisait bien longtemps qu'ils n'avaient plus besoin de traquer des proies pour se nourrir. Jamais Arsène n'avait été lancé sur la piste d'un cerf qui transpirait la peur sur des centaines de mètres. Plus jeune, lorsqu'il était adolescent, il en avait rêvé plusieurs fois, pour ressentir la sensation de pouvoir quand on avait le cou et la vie de la proie entre les crocs, pour se tester aussi, connaître ses limites. Aujourd'hui il savait que c'était inutile. La chasse n'avait plus aucun intérêt. A vrai dire, il doutait même que son grand-père ait une fois vraiment traqué du gibier.
Pourtant, c'est bien cet instinct de chasse qui le fit se stopper net lorsqu'une odeur s'engouffra dans ses narines. Elle n'avait rien à voir avec les senteurs d'arbre, d'humus qui parsemaient la forêt. C'était bien plus fort, brutal et animal. Il crut tout d'abord à un cervidé qui passait par là. Après tout, la saison du brame venait à peine de se terminer. Mais même un cerf ne possédait pas cette odeur. Pourtant, Arsène était certain de l'avoir déjà senti quelque part.

Versipellis - L'héritier de la MeuteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant