Seul avec le silence, Stanislas arpentait le manoir. Une obscurité paresseuse stagnait tout autour de lui, déchirée çà et là par quelques rayons de lune. Une nuit sombre et solitaire pour une promenade inattendue. À l'étage, les pensionnaires dormaient sans doute, ignorant tout du visiteur nocturne qui, sans se soucier d'être vu ou entendu, poursuivait son exploration. Il connaissait bien les lieux ; son pas était sûr, quoique sa destination demeurait inconnue. Il obliquait sans véritable but, son attention virant d'un meuble aux pieds dorés au gland d'un coussin qui traînait par terre. Il ne ressentait ni peur ni appréhension, trop certain que personne n'apercevrait sa silhouette. Stanislas pouvait se glisser dans les ombres et les recoins, aussi rapide et furtif qu'un coup de vent. Les paresseuses demoiselles qui occupaient d'ordinaire l'honorable bâtisse ne lui faisaient pas peur ; tant qu'il refuserait d'être vu, il pensait pouvoir demeurer inaperçu. Et si par malheur l'une d'elles devait souffrir d'insomnie et le trouver là, dans le grand salon, Stanislas saurait la soumettre à sa volonté d'un seul regard. Il avait ce genre de pouvoir sur les donzelles.
Un bruit sourd, comme un vase qu'on renverse – mais sans les éclats.
Absorbé par ses explorations nocturnes, Stanislas sentit ses poils se hérisser. Il y avait donc quelqu'un ? Il se recroquevilla derrière la silhouette grotesque d'une bergère, dont les jours, manchettes et coussins se déclinaient en autant de couleurs passées et d'odeurs poussiéreuses. Il ne put d'ailleurs se retenir d'éternuer – un petit bruit aigu qui perça le silence aussi sûrement que la griffe la plus aiguisée. Stanislas se figea, craignant un instant que celui qui avait causé le bruit, dans l'autre pièce, ne vienne le trouver. Mais rien ne bougea.
Plus curieux qu'apeuré, il renonça à détruire son refuge improvisé – l'idée lui était venue tout d'un coup, terriblement alléchante – et s'aventura dans le couloir. Pas une bribe de lumière ne l'éclairait, mais il connaissait l'emplacement des choses et n'y voyait pas trop mal dans le noir. Il atteignit la porte de la bibliothèque sans encombre. D'ordinaire, celle-ci était toujours fermée, détail qui frustrait terriblement les élans exploratoires de Stanislas. Il la trouva toutefois entrouverte cette fois, et se glissa à l'intérieur sans l'once d'une hésitation.
Là, la grande baie vitrée laissait à nouveau pénétrer la lumière argentée de l'astre nocturne. En noir et blanc, on devinait une grande pièce à l'air élégant, meublée avec goût et recherche. Tous les murs de la pièce, sans exception, se trouvaient couverts d'étagères – lesquelles débordaient de romans, d'essais et de livres de poésie. Toute la connaissance du monde dans une seule pièce – ou du moins toute la connaissance que se devait de posséder une jeune femme de bonne famille selon la très exigeante Mademoiselle de Touchet, directrice de ce prestigieux établissement voué à l'éducation des jeunes personnes prometteuses de la région, plus quelques pages oubliées largement plus sulfureuses qui faisaient la joie des pensionnaires. Ça ne manquait jamais : lorsque l'une de ces petites idiotes mettait la main sur un de ces romans à l'eau de rose, elle gloussait beaucoup en tournant les pages, les joues rouges, un air faussement choqué cloué au visage. Immanquablement, elles chassaient Stanislas de signes de la main outrés – il se vengeait généralement en leur mordant les orteils.
Ce fut justement l'une de ces ravissantes gourdes, de ces pensionnaires auxquels Mademoiselle de Touchet vouait tant d'amitié, qui surgit bientôt du fond de la pièce pour disparaître à son tour dans le couloir sombre. Stanislas ne lui accorda même pas un regard. Les jeunes filles ne l'intéressaient pas ; elles le gênaient plus souvent qu'autre chose, ne comprenant rien à l'art délicat avec lequel il détruisait leurs affaires.
En revanche, il se trouva bien plus intéressé par l'immense bête qu'il voyait reposer au fond de la pièce, au pied de la cheminée de pierre et de fer artistiquement forgé. Il la connaissait bien, cette bête-là – ce n'était plus vraiment une bête d'ailleurs, juste sa peau, arrachée aux os, débarrassée de la chair pour se voir convertie en tapis d'intérieur. Cela faisait des années que Stanislas tentait de faire une sieste sur ce formidable trésor poilu ; mais on l'y attrapait toujours avant qu'il ne puisse savourer son répit durement conquis. Cette fois, il ne serait pas dérangé ! Il s'avança vers sa couchette autoproclamée d'un air conquérant.
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Le cadavre sexy du monsieur tout nu sur la peau d'ours dans la bibliothèque
Mystery / Thriller« Qu'est-ce qui avait bien pu lui prendre, à ce jeune homme de bonne composition, pour venir mourir sur la somptueuse peau d'ours polaire de la bibliothèque ? » Au pensionnat de Touchet, une étrange apparition vient troubler la quiétude des demoisel...