VI. Je ne suis pas coupable

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Le lieutenant Fondement dormait paisiblement dans son petit lit douillet, vêtu en tout et pour tout d'un très sympathique caleçon à rayures bleues et roses, lorsque le téléphone de l'entrée sonna. La plupart des gens normaux n'avaient pas de téléphone chez eux, l'invention s'avérant trop récente pour qu'on en équipe les simples citoyens, mais en sa qualité de jeune enquêteur prometteur, Patrick s'était vu forcé d'installer un de ces engins du diable en sa demeure. Il allait sans dire que ses supérieurs en profitaient allègrement pour le joindre en dehors des heures de service et lui attribuer toutes les missions dont eux-mêmes ne voulaient pas – du gamin attrapé à voler les bonbons au chat coincé dans un arbre, en passant par l'hurluberlu local, que la bonne police de la ville devait empêcher de se promener nu avec une poule en guise de cache-sexe environ une fois par mois, lorsque ses réserves d'eau de vie de pomme de terre tombaient à sec et qu'il devait venir de réapprovisionner en ville. Les pauvres gallinacés en gardaient toujours de lourdes séquelles psychologiques, errant dans leur poulailler en émettant des plocs interrogateurs lorsque Patrick et ses collègues les ramenaient à leurs très perplexes propriétaires. Ma foi, c'était sans doute le lot de toutes les forces de l'ordre exerçant dans des petites villes de campagne : les poules, et la noblesse ruinée – les deux bêtes noires de Patrick.

Quoi qu'il en soit, il sursauta en entendant la sonnerie aiguë du téléphone, ce qui eut pour effet de projeter son ours en peluche à l'autre bout de la pièce – le malheureux heurta le charmant petit guéridon en bois de cerisier avec un clang caractéristique.

Clang ?

Patrick ouvrit un œil, puis un second. Il bâilla longuement, tout en maudissant intérieurement cet engin du diable qu'était le téléphone, ainsi que son inventeur.

– Euh... Patron ? Vous ne devriez pas jeter votre flingue contre les barreaux comme ça. Vous allez encore casser le percuteur. Elles sont fragiles, ces petites choses-là, vous savez. Et puis tant qu'on y est, vous devriez arrêter de dormir dans la cellule de dégrisement ; surtout pas en fin de mois, hein. Le vieux Stevenson ne va pas tarder à manquer de vodka, et il pourrait partir en chasse d'un instant à un autre. Vous tenez vraiment à vous retrouver enfermé ici avec lui et une pauvre poule ? Et puis, il y a un téléphone pour vous. Une des pensionnaires de l'internat de Touchet.

Flingue ? Cellule de dégrisement ? Patrick se redressa en sursaut, encore un peu désorienté. Point de petit guéridon ou d'ours en peluche en vue, il se trouvait encore au poste. Ses yeux encore mi-clos balayèrent la scène, lui révélant le visage désabusé de l'agent Lande d'Aussac en face de lui – encore une de ces nobles désargentées, mais qui gagnait honnêtement sa vie au lieu de se plaindre, celle-là. Et juste devant elle, des barreaux ; ah, ça expliquait le clang.

L'agent Lande d'Aussac se détourna fort pudiquement lorsque son patron s'extirpa de sa couverture et enfila par-dessus son charmant caleçon à rayures son très officiel pantalon d'agent des forces de l'ordre. Puis, il quitta la cellule de dégrisement et suivit sa collègue jusqu'au téléphone maudit qui l'avait tiré de ses beaux rêves. Le lieutenant Patrick Fondement avait toujours considéré qu'une sieste en fin d'après-midi l'aidait grandement à remettre ses idées en place quand il se trouvait plongé dans des sales affaires de la tête aux pieds. Et puis en l'occurrence, il voulait attendre les conclusions d'Ariane Montaigne, la légiste, avant de prendre quelque décision que ce soit concernant cette foutue enquête. Les faits pointaient tous sur les demoiselles du pensionnat, mais Patrick peinait toujours à croire que l'une de ces donzelles ait pu avoir la force nécessaire pour planter une chaussure à talon de quinze centimètres dans la poitrine du très fringant Valmont Desmiers. Il les avait entrevues, les gamines ; nobles pour la plupart, raison pour laquelle il avait aussitôt réquisitionné Stéphane Lande d'Aussac – en plus du nom de famille à rallonge, la pauvre se tapait un prénom de garçon ; ses parents devaient vraiment avoir envie d'un fils – pour établir les profils des suspectes potentielles. La plupart provenaient de familles nobles, que l'agent Lande d'Aussac côtoyait à l'occasion, sans compter que son petit frère séjournait lui aussi à l'internat. Patrick appréciait l'idée de disposer d'un potentiel espion dans les lieux.

Le cadavre sexy du monsieur tout nu sur la peau d'ours dans la bibliothèqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant