Les jours passaient, et Edmondine et Isabeau se regardaient toujours en chiens de faïence. La situation d'Edmondine s'était empirée, à vrai dire ; elle se sentait vraiment isolée à l'internat, au point qu'elle recherche désormais la compagnie d'Anne-Lucienne à défaut de mieux. Elle ne pouvait plus compter sur Muguette pour le club de lecture, et même Calixte, qui se joignait à elles occasionnellement, n'était plus de la partie. À vrai dire, les jumelles semblaient s'être prises d'amitié pour Isabeau ces derniers jours ; elles passaient la majeure partie de leur temps dans son sillage, quand ce n'était pas avec Georgianna et Philiberte. Edmondine n'avait jamais trop apprécié Philiberte. La jeune fille se moquait d'elle trop ouvertement, dépréciait ses livres tant aimés avec trop d'indifférence pour les sentiments d'autrui. Oui, Edmondine se sentait définitivement de plus en plus seule. Elle aurait aimé pouvoir se confier à Domitille, qu'elle avait tant admirée. Ou plutôt, elle aurait aimé que Domitille, touchée en plein cœur par un drame si affreux que la perte de l'homme de sa vie, de son âme sœur, fasse preuve d'une humeur plus sombre. Comment Edmondine pouvait-elle s'autoriser à se montrer morose si son modèle, sa magnifique Domitille elle-même faisait bonne figure au milieu des drames ?
À défaut de parvenir à se réjouir de son isolement nouveau, Edmondine lisait. Le Kilt du Destin ne la quittait plus ; elle passait ses journées, chaque instant de temps libre, à relire jalousement chaque ligne, chaque page de son livre favori. C'était toujours une présence ; ça comptait quand même.
***
Il était cinq heures vingt-cinq, l'heure du thé pour tout individu civilisé, mais pas pour Georgianna. C'était elle que l'on avait chargée d'aller fouiller la chambre d'Isabeau. Pourquoi, la plantureuse rouquine se le demandait bien, car elle-même était capable de reconnaître qu'elle était loin d'être une créature discrète ; elle incarnait même l'opposé de toute espèce de discrétion. Calixte aurait largement mieux fait l'affaire, elle qui présentait le physique maigre et l'esprit retors des espions de romans. Mais non. Philiberte et les jumelles, en dépit du bon sens, avaient tranché : ce serait Georgianna.
Cela expliquait qu'elle se trouvât alors à l'étage, alors même qu'un événement du plus grand intérêt avait lieu en bas, à savoir une énième dispute théologique entre Anne-Lucienne et Philiberte. Cette dernière ne portait évidemment qu'un intérêt limité aux mystères et à la doctrine, mais sa logique à toute épreuve lui permettait néanmoins de faire face à Anne-Lucienne. Ce jour-là, le sujet concernait la disparition de dinosaures, dont Anne-Lucienne niait l'existence même, au grand dam de Philiberte. L'une parlait de déluge, l'autre de météorite. En temps normal, Georgianna trouvait tout cela passionnant. Pas ce qui se disait, évidemment, mais l'âpreté avec laquelle se congénères pouvaient se déchirer pour de bêtes tyrannosaures. Qui s'intéressait à ces bêtes-là, de toute manière ? Elles avaient de petits bras ridicules.
Assise sur les marches de l'escalier, Domitille servait de guetteuse. Elle s'était assise de manière à bien bloquer le passage et avait pour mission d'entamer la conversation avec quiconque tenterait de monter, avertissant Georgianna du danger. Dans un grand soupir, la rouquine se décida enfin à passer à l'action.
Concrètement, cela signifiait qu'elle devait faire deux pas pour franchir le seuil de la chambre qu'Isabeau partageait avec Nazaire. Rien de trop complexe ; la porte n'était même pas fermée. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle était censée chercher une fois à l'intérieur. La police avait déjà fouillé les chambres, et Georgianna doutait qu'elle y ait trouvé quoi que ce fût.
Cela dit, à la lumière du fait que le meurtre de Valmont était peut-être lié à l'attentat de l'opéra, on pouvait peut-être voir les choses sous un angle différent et deviner un indice là où la police n'avait rien vu de particulier. C'était du moins ce que supposait Georgianna, quand bien même elle n'en était pas convaincue du tout.
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Le cadavre sexy du monsieur tout nu sur la peau d'ours dans la bibliothèque
Mystery / Thriller« Qu'est-ce qui avait bien pu lui prendre, à ce jeune homme de bonne composition, pour venir mourir sur la somptueuse peau d'ours polaire de la bibliothèque ? » Au pensionnat de Touchet, une étrange apparition vient troubler la quiétude des demoisel...