Le lieutenant Patrick Fondement abordait sa toute première scène de crime en qualité de responsable des troupes avec un plaisir tout particulier. Jusque-là, il ne s'était distingué au cœur des forces de l'ordre que pour son délicieux postérieur, qui lui avait valu d'être élu quatre fois de suite « policier le plus sexy du calendrier annuel du comté » – pas une mince affaire. L'idée de s'illustrer pour autre chose que ses petites fesses rebondies l'alléchait toutefois au plus haut point, même s'il ne reniait aucune de ses qualités, aussi bien physiques qu'intellectuelles.
Ce qui l'enchantait un peu moins, en revanche, c'était le cadre. Un internat pour jeunes filles de la haute, sérieusement ? Il entendait déjà les gloussements de cette bande de pintades rieuses sur son passage, et se prit à soupçonner son supérieur hiérarchique de ne lui avoir fait cadeau de l'affaire que pour éviter la confrontation avec les adolescentes décérébrées et leur cerbère de directrice. Quelle plaie !
Enfin, diriger l'enquête, c'était plutôt chouette. Il voyait l'avancement au bout du chemin ; peut-être même qu'on lui offrirait un bureau plus grand, s'il résolvait le meurtre en moins d'une semaine ? Un truc où il pourrait ouvrir la fenêtre et la porte en même temps, sans que les deux ne risquent de le décapiter au moindre courant d'air ! Oh, et si le meurtrier était découvert en trois jours seulement, le chef lui offrirait peut-être une tasse à thé à son nom, avec les armoiries du comté dessus. Les meilleurs éléments avaient tous droit à leur propre tasse à thé nominale, c'était l'honneur suprême qui permettait de distinguer l'élite des simples matricules destinés à faire la circulation et à descendre les chats des arbres toute leur vie. Ô, comme Patrick en rêvait !
Pour obtenir le précieux sésame, peut-être bien qu'il résoudrait cette fichue affaire en trois jours. Trois putains de jours, comme Jésus ! Ouais, ça allait être grandiose ; le cas ne pouvait pas s'avérer bien compliqué de toute manière. Les gamines auraient vite fait de craquer et de raconter comment ce pauvre bougre s'était retrouvé à poil dans leur bibliothèque – décidément, la jeunesse se perdait.
Patrick commença par examiner la scène de crime, qu'il trouva somme toute très banale. La victime était jeune, moins d'une vingtaine d'années. De longs cils blonds bordaient ses yeux fermés – sans doute par l'une des donzelles de l'internat en mal de romantisme. Il semblait étrangement serein, et très snob surtout, avec ses lèvres pleines pincées, comme un vague rictus de désapprobation. L'arme du crime, en revanche, retint toute l'attention du lieutenant : une chaussure à talon, rien que ça. Oui parfaitement : un joli petit escarpin rouge à boucle dorée, à la pointe profondément enfoncée dans la poitrine du jeune homme.
– En plein cœur, commenta-t-il. Elle devait être sacrément sur les nerfs, la petite qui a fait ça. Ça doit demander une sacrée force, hein Ariane ?
Ariane Montaigne se trouvait être la médecin légiste en charge du dossier, une fringante demoiselle d'une trentaine d'années, toute en courbe, en sourires et en jupes colorées – elle détonnait très franchement sur la scène de crime, au milieu de cette armada de policiers grisonnants, dont l'uniforme peinait à dissimuler la bedaine.
– Je ne pense pas que le talon ait atteint le cœur, commenta l'intéressée tout en soulevant une paupière du mort pour vérifier Dieu sait quoi. Tu sais, la plupart des gens ont tendance à croire que les coups de poignard tuent parce qu'ils atteignent le cœur, mais ce n'est pas ce qui arrive en réalité. En fait, quand tu crées un trou dans la poitrine, aussi minuscule soit-il, tu crèves le vacuum qui maintient les poumons gonflés et ils s'affaissent sur eux-mêmes. En gros, tu meurs étouffé, certainement pas à cause du sang qui gicle ou je ne sais quelle autre bêtise ; je te parie d'ailleurs que son cœur va très bien – enfin, si on excepte le fait qu'il est tout ce qu'il y a de plus décédé. Il a simplement manqué d'oxygène. Pas très sympa comme mort, mais il y a pire. Ça doit prendre cinq ou six minutes, le temps que tu t'étouffes, et puis voilà, terminé !
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Le cadavre sexy du monsieur tout nu sur la peau d'ours dans la bibliothèque
Misterio / Suspenso« Qu'est-ce qui avait bien pu lui prendre, à ce jeune homme de bonne composition, pour venir mourir sur la somptueuse peau d'ours polaire de la bibliothèque ? » Au pensionnat de Touchet, une étrange apparition vient troubler la quiétude des demoisel...