À l'annonce de la mort de Muguette, stupeur et panique s'emparèrent de l'internat. Philiberte se retrouva piégée dans cette ambiance morbide, elle qui prenait désormais soin de pousser la grosse commode à sous-vêtements de Georgianna devant leur porte avant de s'endormir. Elle se demanda si elle ne voulait pas demander à ses parents de la laisser rentrer à la maison, mais se ravisa en posant le regard sur la mine défaite et suppliante de sa camarade de chambre. Georgianna n'avait pas le choix, elle : sa mère se trouvait sans doute quelque part en Russie avec son nouveau mari, et son père était en voyage d'affaires au fin fond des États-Unis. Selon ses dires, seule sa grand-tante écossaise demeurait au manoir familial, pour nourrir les chats et le majordome, et elle avait absolument exclu être en mesure de s'occuper d'une jeune fille dans la force de la jeunesse en plus, étant déjà suffisamment débordée par la domesticité dans les deux sens du terme.
– On pourrait fuguer, nota Georgianna, qui venait de capter le regard de Philiberte.
– Fuguer ? Pour aller où ? s'étonna la très sérieuse et raisonnable Philiberte.
– Oh, ce ne sont pas les idées qui me manquent. J'aurais tendance à partir au Sud, pour profiter d'un climat plus doux et bronzer à la plage – il paraît que les filles du Sud portent de nouveaux maillots de bain absolument scandaleux ! Je meurs d'envie d'essayer !
Philiberte leva les yeux au plafond, mais reconnut néanmoins que l'idée avait un petit quelque chose d'alléchant. Que n'aurait-elle pas donné pour être en mesure d'échapper à l'ambiance si macabre qui s'était installée à l'internat ? Pour échapper au tueur ? Cela dit, son pragmatisme lui criait qu'elle pouvait bien rêver si cela lui chantait, une fugue demeurait absolument hors de question.
– La police prendrait ça pour un aveu de culpabilité de notre part, si on disparaissait du jour au lendemain. On serait recherchées, vite retrouvées... et finalement accusées. Surtout maintenant que l'on sait que c'est ton véronal qui a tué Muguette – enfin, la première fois en tout cas.
Philiberte se mordit les lèvres, réalisant qu'elle venait d'énoncer une vérité peu agréable. Au lieu de se fâcher, le visage rond de Georgianna se détendit toutefois un peu au milieu de ses incompréhensibles boucles rousses.
– Bah, on pourrait laisser une lettre signée de la main du tueur qui dirait qu'il nous a assassinées et enterrées quelque part dans la forêt ! Ce serait follement amusant, et en plus, ça permettrait de détourner les recherches au mauvais endroit ! Imagine le temps qu'il leur faudrait pour retourner toute la forêt et se rendre compte que la lettre est un faux ! D'ici là, on serait déjà dans le Sud, à profiter du soleil et de la plage !
Philiberte ne prit même pas la peine de lui signaler combien ses idées étaient déplacées et immorales, mais rit tout de même de bon cœur. Georgianna l'irrévérencieuse constituait généralement un remède efficace contre les coups de blues et autres idées noires, même lorsque les tragédies vécues étaient aussi dramatiques que la mort d'une camarade de pension âgée de quinze ans à peine.
Le souvenir de Muguette lui ramena les larmes aux yeux, et elle se laissa tomber à côté de Georgianna sur le lit de cette dernière. Elle s'enfonça dans un nuage de coussins.
– Je ne comprends pas, Gee Gee... murmura-t-elle. Pourquoi elle, et surtout, comment le meurtrier est-il parvenu à l'atteindre à l'hôpital ? C'est tellement injuste, tellement... tellement moche.
– La meurtrière, corrigea tristement Georgianna, persuadée comme elle que la coupable se trouvait parmi elles ; Isabeau et Edmondine venaient de faire une remontée digne de louanges dans la liste des coupables potentielles, mais elles étaient toutes deux si désespérées par la nouvelle du trépas de Muguette que personne n'avait encore eu le cœur de les accuser.
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Le cadavre sexy du monsieur tout nu sur la peau d'ours dans la bibliothèque
Mystery / Thriller« Qu'est-ce qui avait bien pu lui prendre, à ce jeune homme de bonne composition, pour venir mourir sur la somptueuse peau d'ours polaire de la bibliothèque ? » Au pensionnat de Touchet, une étrange apparition vient troubler la quiétude des demoisel...