II. Un cadavre dans la bibliothèque

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Calixte Valette avait toujours eu un sixième sens pour flairer les ennuis, en particulier ceux dans lesquels se plongeait régulièrement Domitille. Peut-être était-ce le fait d'être jumelles, de tout partager – sauf le caractère. Un même visage, une même famille, une vie passée côte à côte. Aussi se redressa-t-elle en sursaut lorsque le cri – un cri faible et lointain, mais un cri quand même – lui parvint aux oreilles ; elle avait reconnu la voix de sa sœur ; elle l'aurait reconnue entre mille. SATAN, qui avait trouvé refuge au sommet de son crâne et somnolait d'un œil mauvais, effectua un triple saut périlleux arrière avant d'atterrir sur la commode, renversant pile de livres et lampe de chevet au passage, pour finir par escalader les rideaux dans une attaque de panique qui ébouriffa son poil blanc déjà volumineux.

– Sale bête ! siffla Calixte entre ses dents, sans lui prêter plus d'attention que nécessaire.

Elle se leva rapidement, chercha sa robe de chambre du regard, avant de se rappeler que SATAN l'avait transformée en une charmante collection de lanières de tailles diverses deux jours plus tôt.

– Sale bête... soupira-t-elle à nouveau.

Évidemment, la robe de chambre de Domitille n'était nulle part en vue ; à défaut de pouvoir l'emprunter comme ces derniers soirs, Calixte se résolut donc à dévaler l'escalier en chemise de nuit, espérant que Mademoiselle de Touchet ne l'attraperait pas à se promener ainsi dans l'indécence la plus totale. Dans sa précipitation, elle bouscula plusieurs des autres pensionnaires, elles aussi intriguées par ce cri matinal ; au pensionnat de Touchet, les cris avaient plutôt tendance à être vespéraux, aucune des demoiselles ne s'avérant particulièrement encline à se lever avec le soleil – excepté Anne-Lucienne, bien évidemment, mais personne n'avait jamais entendu Anne-Lucienne élever la voix, et pour le coup, elle n'entrait pas en ligne de compte.

Au bout de sa course effrénée – et après avoir manqué de se rompre le cou dans l'escalier pour cause de SATAN qui se glissait furtivement entre ses pieds –, Calixte parvint enfin au rez-de-chaussée, où elle nota aussitôt la porte entrouverte de la bibliothèque. Pas un bruit n'indiquait que Domitille s'y trouvait, mais sa jumelle se fia cependant à son pressentiment et pénétra dans la pièce. Domitille était là. Calixte laissa un soupir de soulagement lui échapper. Sa consolation fut toutefois de courte durée : elle s'aperçut assez vite que sa sœur se trouvait évanouie sur le sol, juste à côté de ce qui ressemblait à... Valmont. Nu. Ouh le scandale.

– Dom, bouge de là ! lança-t-elle après s'être jetée à genoux sur le parquet ciré pour mieux secouer sa sœur. Avant que les autres n'arrivent et ne voient ça !

Si Domitille papillonna des paupières en réponse, elle ne se releva pas pour autant. Calixte la secoua de plus belle, sachant pertinemment qu'il ne s'écoulerait pas plus d'une dizaine de secondes avant que les filles ne débarquent à leur tour. Et alors... Alors ce serait la grande foire aux rumeurs et aux regards tantôt outrés, tantôt mesquins et tantôt appréciateurs.

– Cal ? balbutia doucement sa sœur jumelle, désorientée.

– Dom, lève-toi !

– Il est mort... Il est vraiment mort...

Ce fut à ces mots que Calixte nota ce qu'elle aurait dû remarquer dès le départ. Valmont ne bougeait pas ; Valmont était pâle ; Valmont était tout ce qu'il y avait de plus trépassé. La jeune fille accusa le coup avec autant de calme que possible. Le scandale potentiel venait de grimper de dix sur l'échelle des potins dangereux. Hors de question de laisser Domitille se mêler à ça !

– Par tous les saints !

Trop tard. Calixte résista à l'envie de se frapper la tête du poing et tourna un regard qu'elle espérait larmoyant vers l'arrivante, qui se tenait encore dans l'embrasure de la porte. Sans surprise, elle reconnut Anne-Lucienne – la Sainte Emmerdeuse. Qui d'autre aurait juré de la sorte ? La plupart des pensionnaires se seraient contentées d'un oh surpris, sauf peut-être Georgianna, qui se serait épanchée en une tirade impressionnante de jurons en anglais.

Le cadavre sexy du monsieur tout nu sur la peau d'ours dans la bibliothèqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant