Je m'appelle Louanne Adélaïde Charpentier et je suis née il y a seize ans et dix-huit jours.
Quand j'ai eu deux ans, j'ai attrapé une méningite bactérienne, qui a bien failli me terrasser et a endommagé irrémédiablement mes nerfs auditif, provoquant une anacousie des oreilles droite et gauche. Ce terme en apparence compliqué définit pourtant quelque chose de très simple : je suis atteinte d'une surdité totale, et ne peut percevoir aucun son, même au-delà de 120dB.
Mes parents ont de suite pris les choses en main. Ils se sont coupés en quatre pour alléger mon handicap. Ils ont appris la langue des signes en même temps que moi, c'est-à-dire dès que le diagnostic est tombé.
Ils m'ont plus tard placée dans une école spécialisée où j'ai pu rattraper le petit retard que j'avais pris et me sentir plus à l'aise avec cette partie de moi-même. J'y ai fait la rencontre qui a sensiblement changé ma vie. Nala Coleman, ma meilleure amie. Elle était entendante mais faisait sa scolarité dans une école pour malentendant car sa mère était sourde. Le jour où j'ai croisé sa route, elle ne m'a plus jamais quitté. Où plus justement, je ne l'ai plus jamais lâché.
Mais ça, c'est une autre histoire.
Dès que j'ai su déchiffrer sur les lèvres avec facilité, vers l'âge de dix ans, j'ai rejoint une classe de CM2 normale, et Nala m'a suivi. Je suis vite devenue une des élèves les plus douée de ma classe. Des professeurs qui parlaient la langue des signes me faisaient passer les oraux, lorsque cela s'avérait nécessaire.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, je parlais très bien. J'avais eu très tôt des rendez-vous réguliers avec une orthophoniste, j'avais appris à articuler sans entendre ce que je disais. Je n'étais pas complexée, je ne me posais pas de questions. Pour moi mon élocution était aussi normale que celle d'un entendant. Et puis les brimades ont commencées. Doucement d'abord, quand les élèves ont vu débarquer une fille bizarre dans leur classe, qui n'entendait pas quand on lui parlait, qui fixait votre bouche quand vous lui adressiez la parole. Et qui malheureusement n'articulait pas comme tout le monde. Le fait que j'étais, en bien des domaines, meilleure qu'eux ne m'a pas épargné, loin de là. Le fait d'avoir une amie au caractère aussi trempé que celui d'un lion n'a pas réussi à changer la donne non plus. À force de voir les autres se moquer, j'ai fini par me taire. Le jour où un camarade a sorti une brimade plus méchante qu'à l'accoutumé, quelque chose en moi s'est scellé. A double tour. Je n'ai plus jamais adressé la parole à qui que ce soit à voix haute. Mes parents, ma meilleure amie ont tenté de réparer le tort, mais je n'en avais plus envie. Je ne voulais plus faire d'efforts pour être récompensé par des moqueries.
Mais à part cela j'ai pu avoir une vie presque normale.
J'ai dit presque.
Parce que je ne sais pas ce qu'est la musique.
Parce que je ne sais pas ce qu'est une voix aiguë ou grave.
Parce que je ne sais pas ce que ça fait d'entendre quelqu'un vous dire qu'il vous aime.
Je n'ai jamais pu me débarrasser de la frustration de ne pas connaître tout ce qui a un rapport avec ce sens si important chez l'homme, mais je me suis toujours efforcée de na pas y penser et de ce fait, je n'ai pas eu à regretter trop amèrement d'avoir perdu mon ouïe.
Jusqu'à aujourd'hui.
Parce qu'alors que le jeune homme me fixait de ses yeux verts, les sourcils haussés dans une expression incrédule, j'aurais donné n'importe quoi pour avoir entendu le tramway arriver, pour l'avoir entendu klaxonner.
Pour comprendre ce qu'il m'avait dit.
Pour entendre sa voix.
Le métis fronça tout à coup les sourcils, ses deux mains toujours solidement agrippées à mes épaules.
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Moi, Louanne, Différente
RomanceLouanne est une jeune fille pas comme les autres. Elle est atteinte de surdité depuis l'âge de deux ans. Apprenant à vivre avec ce handicap, elle apprecie son existence et profite de ceux qu'elle aime. Jusqu'au jour où elle traverse une voie de tram...