Mamou

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Je me réveillai le lendemain avec un mal de crâne carabiné mais réconfortée par la satisfaction du travail accompli.

J'avais passé les trois quarts de la nuit à peindre les moments forts de mes vacances. Il y avait la plage, Dylan et Nala qui se disputaient pour un Petit Lu, nous qui allions chercher une glace, le jour où nous étions allée à la fête foraine locale, Sam dans le salon de tatouage, Théo et son demi sourire... je les trouvais tous particulièrement réussi. La moitié d'entre eux n'étaient pas achevés. J'étais tellement pressée de tout mettre sur papier que j'étais passée d'une esquisse à l'autre, sans même prendre la peine de les terminer.

Mais ça n'était pas grave, j'avais peint le plus gros et je me mettrai plus sérieusement à chaque portrait dès que j'en aurais le temps.

Comme nous étions début août, je savais que le temps ne manquerait pas.

Après avoir rangé mes affaires, la veille, j'étais descendue un peu à contre cœur pour dire bonjour à papa, qui venait de rentrer du travail. Prise dans la conversation, j'avais mis la table et étais restée avec eux toute la soirée. Ils m'avaient aussi beaucoup manquée.

Alice était restée collée à mes jambes tout du long, jusqu'à ce que maman la mette au lit et que j'en profite pour remonter dans ma chambre, prétextant un excès de fatigue.

Je levai les yeux sur la toile inachevée encore accrochée à mon chevalet. C'était un portrait de Sam. Il était affalé dans une posture nonchalante, les yeux rieurs, les mains croisées dans la nuque.

C'était le jour des crêpes aux Nutella.

Les seuls portraits terminés et soigneusement arrangés étaient ceux de Théo, déjà placés dans le dossier prévu à cet effet.

Il me manquait peut-être une ou deux scènes de Poker, et mon dossier « Vacances à Lacanau » serait complet, du moins dans l'idée. Il ne me restait plus qu'à achever minutieusement chacune des dizaines d'esquisses étalées bien à plat sur mon grand bureau.

Une petite lumière se mit à clignoter sur mon portable. Je fronçai les sourcils et l'attrapai en baillant. Je regardai l'heure : 8h10. J'avais encore de longues heures de sommeil devant moi, si je le souhaitais, mais depuis hier une idée me trottait dans la tête et je n'arrivais pas à m'en dépêtrer.

Je cliquai sur mon écran tactile et lu le message de Nala :

"On se retrouve pour un ciné, ce soir ? C'est la rediffusion en VO du Magicien d'Oz. Y aura Dyl' "

Je poussai un grognement en enfouissant ma tête dans l'oreiller. Nala avait une toute nouvelle lubie depuis quelques mois, laquelle était de me dispenser une culture cinématographique. J'avais eu le malheur de lui avouer que les films avaient pour moi un effet soporifique garanti, et depuis ce jour elle se faisait un point d'honneur à m'amener au cinéma dès qu'un film en VO passait, « pour combler le gouffre qu'étaient mes lacunes cinématographiques ».

Mais je n'avais jamais aimé les films, qui ne représentaient aucun intérêt à mes yeux. Je ne sais pas si c'était à cause de ma surdité, mais en tout cas cela m'ennuyait ferme.

J'allai sur le moteur de recherche internet de mon portable et tapai le nom du film. Un deuxième élan de désespoir m'envahit lorsque je vis la date de sortie du film (1939!) et le fait qu'il s'agissait d'une sorte de comédie musicale. Une comédie musicale ! Nala avait poussé le bouchon un peu trop loin cette fois-ci. Qu'est-ce que je ferais quand les acteurs se mettraient à chanter ? Même si j'avais les sous-titres, ça serait drôlement gênant pour moi. Les gens allaient dodeliner de la tête pendant les chansons, peut-être même que certains se mettraient à pleurer, comme j'avais souvent vu maman le faire, et moi je resterai là, indifférente à la magie du moment, embarrassée et triste d'être la seule à ne rien ressentir.

Moi, Louanne, DifférenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant