La contre-attaque de Nala n'est pas venue de suite. Je savais qu'à un moment où un autre, son offensive massive me prendrait par surprise, me laisserait pantoise et sans défense, et que je serais obligée de tout lui raconter.
J'avais réussi à me convaincre que je la verrai arriver, et que je resterai vague et fermement campée sur mes positions. Mais finalement, les jours défilèrent et elle ne fit plus mention de mon mystérieux interlocuteur. Mystérieux pour elle, car pour moi, il était tout ce qu'il y a de plus tangible.
J'avais été perdue dans mes pensées toute la semaine, abandonnée sur quelque nuage, seule, et je dérivais sans m'en apercevoir sur le fleuve de mes pensées.
Ledit nuage était néanmoins tout à fait confortable, et peut-être que finalement j'étais heureuse de dériver ainsi, dans un ciel qui aurait la couleur de ses yeux, un vert riche en nuances.
Nala m'avait toisée plusieurs fois, l'œil perçant, et puis m'avait dit que je souriais comme une demeurée, tout en pinçant les lèvres pour retenir je ne sais trop quoi. Je craignais que ce je-ne-sais-trop-quoi soit un sourire. Les sourires cachés chez Nala n'étaient jamais bon signe. Mais il est vrai que je souriais sans arrêt. Pour un rien. Je crois que mon cœur, où siégeait l'ouragan de mes émotions, avait pris les rênes et qu'il contrôlait maintenant mes membres, sans passer par mon cerveau. C'était peut-être pour cette raison que je n'arrivais plus du tout à me concentrer. Le pauvre organe n'avait plus son mot à dire. Ou alors il était parti en vacance.
Quoiqu'il en soit, je me retrouvais souvent à faire répéter mon entourage quand ils me parlaient, à me rendre compte que j'avais bel et bien lu sur leurs lèvres et que je n'avais pas la moindre idée de ce que leurs mot, pourtant familiers, signifiaient. Ils avaient perdu leur sens. Bien sûr, je me reprenais aussitôt, commandais à mon cerveau de revenir sur le droit chemin. Mais le capricieux organe se mettait presque immédiatement en pause, dès que je n'étais plus sollicitée. Enfin, il activait plutôt une sorte de mode « veille ».
Il investissait ainsi toute son énergie sur un seul et même sujet : Théo.
Je commençais à me demander si je ne faisais pas réellement une obsession. Je ne pensais pas, car je me posais juste des questions légitimes :
Est-ce que je le reverrai vraiment, ce jeudi-là ? Est-ce qu'il serait content de me voir ? Est-ce qu'il pleuvrait encore et que j'aurais à nouveau l'air d'un chien mouillé ? Est-ce que j'aurais toujours le fichu rhume que j'avais attrapé à cause de la douche glacée du tram ?
J'espérais que non. J'avais le nez rouge, un mouchoir toujours collé à la main, les yeux larmoyants et soi-disant que je « parlais du nez ».
Allez savoir ce que cela pouvait bien signifier. En tout cas cela faisait bien rire Nala, qui avait l'air de s'être finalement habituée à entendre le son de ma voix.
Mais la question la plus importante de toutes : pourquoi est-ce que je me sentais inexplicablement fiévreuse quand je pensais à lui, c'est-à-dire quatre-vingt-dix pour cent de mon temps ? Et pourquoi est-ce que je pensais à lui tout court ?
Je n'avais jamais ressenti un sentiment comparable dans le passé. Il y avait l'amour quasi fraternel que j'éprouvais pour Nala, la tendresse que m'inspiraient ma petite sœur et mes parents, l'affection que j'avais pour Dylan...
Rien n'était comparable à ce sentiment qui m'envahissait lorsque mes pensées vagabondaient jusqu'à lui. Un genre d'excitation douloureuse, une injection d'adrénaline dans mes veines, qui éveillait chaque cellule de mon corps.
Peut-être était-ce une obsession.
Les êtres humains ont un autre mot qui définit particulièrement bien ton état, se moquait gentiment une petite voix dans ma tête.
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Moi, Louanne, Différente
RomanceLouanne est une jeune fille pas comme les autres. Elle est atteinte de surdité depuis l'âge de deux ans. Apprenant à vivre avec ce handicap, elle apprecie son existence et profite de ceux qu'elle aime. Jusqu'au jour où elle traverse une voie de tram...