Surprise

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Le docteur Stuart se releva en grimaçant. Il retira le stéthoscope de ses oreilles et me lança un regard bienveillant. C'était un homme tout en rondeur, au visage poupin et aux traits doux. Je le connaissais depuis que j'avais eu ma méningite, puisque c'était lui qui me l'avait diagnostiqué et m'avait envoyé en urgence à l'hôpital. Depuis mes parents n'avaient jamais changé de médecin traitant et cela me convenait très bien. Je l'aimais bien, ce docteur Stuart.

-Ma chère Louanne, dit-il en articulant consciencieusement, comme à son habitude, je pense que tu as fait une belle baisse de tension et je dirais même que tu es passée très près du Burn-out. C'est la mode en ce moment chez les jeunes, les burn-out. On dirait que vous n'avez que ça à faire, vous autres, me dit-il avec espièglerie. Bon je te conseille de rester tranquillement chez toi le reste de la semaine et tout va rentrer dans l'ordre.

Je hochai la tête, tête qui me faisait drôlement mal, d'ailleurs. Une conséquence malheureuse de toute la tension qui s'était accumulée ces dernières semaines, selon le docteur Stuart. Il m'avait rassuré en me disant qu'avec un doliprane, le mal de crâne passerait facilement.

Le docteur me fit un clin d'œil et se dirigea vers l'entrée de la chambre, où attendaient mes parents, l'air grave. Il se mit dos à moi, de sorte que je ne pus lire sur ses lèvres, mais je vis papa hocher la tête plusieurs fois et maman se détendre légèrement. Il avait dû leur dire la même chose qu'à moi. De toute façon je m'en moquais un peu. J'avais l'esprit ailleurs. Déjà à ma migraine qui me vrillait les tempes, et puis je pensais à mon comportement ces derniers jours. On ne pouvait pas dire que j'avais agi de façon rationnelle. J'avais l'impression que tout ce qui s'était passé n'était qu'un rêve flou et que je pourrais reprendre ma vie normale dès qu'il se serait estompé. J'avais fait une crise existentielle couplée avec une peine de cœur et cela m'avait tout simplement mis hors de moi. Dans tous les sens du terme.

Mais je me sentais déjà mieux. Savoir que je n'étais pas folle, juste un peu perturbée par les évènements, me rassurait. Et puis j'avais l'impression que j'avais passé un cap, une espèce d'obstacle qui me bloquait la vue depuis que j'étais sourde et que j'avais franchi, me permettant de voir enfin clair dans mon futur. Je ne dis pas que je m'étais transformée en Irma et que je lisais l'avenir, mais tout me semblait beaucoup plus... évident. J'étais sourde ? OK. J'avais un handicap qui me pénalisait par rapport aux autres ? Pas de problème. Le seul homme qui m'ait jamais attiré avait décidé de m'ignorer ? Tant pis pour lui.

J'avais décidé d'avancer et de ne plus m'arrêter sur tout ce que je n'avais pas, mais plutôt me concentrer sur tout ce que je pouvais avoir. Et croyez-moi, la vie me paraissait beaucoup plus lumineuse, tout à coup.

Le docteur et mes parents descendirent au rez-de-chaussée et je me détendis, bien au chaud sous ma couette. Mon portable était posé sur ma table de chevet juste à côté de moi et clignotait. J'avais un message. Il s'agissait de Nala, qui ne cessait de me harceler depuis que j'avais pété un plomb et allumé un feu de joie avec des toiles et des dessins que j'avais mis des heures à peindre, pour savoir comment j'allais. Je n'avais pas envie de regarder tout de suite. J'étais trop bien, là tout de suite, dans mon lit, à rêvasser sur mon futur et sur toutes les possibilités qui s'offraient à moi. J'allais devenir la Louanne que j'avais toujours rêvé d'être, celle qui ne se laisserait plus marcher sur les pieds, celle qui se battrait pour son avenir, celle qui aurait désormais la niaque et qui en voudrait pour obtenir ce qu'elle veut. Mais je ne voulais pas pour autant changer ce que j'étais, et ça, pensé-je, ce serait le plus dur.

Je m'étirai en baillant et en pensant aux cinq jours de tranquillité qui s'offraient à moi. Manquer trois jours d'école ne me ravissait pas plus que ça, vu que je devrais tout rattraper en revenant, mais en même temps je savais que j'allais apprécier de rester dans le calme apaisant du Sanctuaire, que j'allais me ressourcer. C'était ça, une nouvelle Louanne, gonflée à bloc, voilà comment j'allais revenir en cours.

Moi, Louanne, DifférenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant