Anti-hérosLes vitres du bus sont opaques. Jouant avec les formes et la lumière, changeant le paysage du Centre de la France en un amas de grisaille informe. Ce bus est sale. La poussière, la condensation et les traces de pluie rendent la visibilité hasardeuse.
Je devine le paysage plus que je ne le vois, à travers la poussière. Je soupire déçu ; je ne pourrai pas me distraire en regardant le paysage défiler. Et Dieu sait, qu'à part cela il n'y a pas grande distraction dans un bus. Cela fait plus de vingt minutes que je tente sans succès d'apercevoir réellement un morceau de paysage. Mon regard finit par se poser sur les autres passagers. Je n'ai jamais adressé la parole à la plupart d'entre eux, et pourtant je devine sans peine les grands traits de leur caractère. Ils sont tous semblables, ils sont tous haïssables. Je suis assis au milieu d'êtres insignifiants qui semblent tellement heureux de baigner dans leur propre merde.
La fille à coté de moi m'effleure en se tournant vers sa camarade, assise derrière nous, et je m'éloigne comme si son contact m'avait brûler. D'un geste, j'essuies ma manche et repose mon regard sur la vitre sale. Comme ces gens. Ils sont tous sales, dégoutants, des porcs ignobles.
Rien que d'y songer cela me désole. Je me renfonce dans mon siège. Je déteste le lycée. Tout ces gens, qui se pensent uniques mais qui ne sont que des copies monochromes, uniformes et sans âme. Quiconque tente de se démarquer se fait immédiatement humilier par ces êtres mesquins.
Comme ce gars, là-bas au fond. Le seul mec de ce minable lycée de province à avoir les cheveux longs, des t-shirts de métal et a s'y connaitre en musique. Le seul mec à être ouvertement gay, aussi. Mais si les gens lui parlaient, ils se rendraient compte que ce type a une culture musicale de dingue, sait jouer de la guitare électrique et est un pote en or. Vraiment. Il est la meilleure personne que j'ai connue. Mais les gens lui parlent pas. C'est plus simple de critiquer sans connaitre. Je les déteste. Je les méprise.
En parlant de critique, je remarque du coin de l'œil qu'un groupe de dindes se moquent de lui. Sans discrétion. Il fait mine de ne pas les entendre mais je sais que la musique de son casque est éteinte ; quand il l'écoute, son doigt tape la mesure. Là, il est immobile.
J'ai tellement envie de baffer ces filles. Mais je ne peux pas.
J'ai tellement envie de rejoindre ce gars, de lui dire que je suis fan de Slipknot et de Ramstein, que j'ai tout les albums de Korn et que la voix de la chanteuse de Nightwish me fait vibrer. Mais je ne bouge pas. Il le sait tout ça. On en a tellement parler. Il y a longtemps. Avant qu'il ne devienne différent. Avant qu'il n'assume son style. Avant qu'il n'assume son orientation sexuelle, aussi.
Alors je reste assis, le regard collé contre la vitre, honteux d'entendre les commentaires que font les filles prés de moi, honteux d'être assis à coté d'une fille que je méprise. Il reste encore deux longues heures de trajet.
Je regarde ces gens, si bêtes et si inconscients de l'être, parfois je me dis que j'aimerai en faire partie.
Parfois je pense qu'il serai si simple de se faire porter par les autres, de ne pas réfléchir et de bêtement suivre. Ces jours-là, quand mon âme aspire à entrer dans la norme, j'écoute les derniers rappeurs à la mode et met une téléréalité quelconque à la télé. Je tente de m'y intéresser. En vain. J'essaye pourtant. Ce serait moins douloureux d'aimer ce que les autres aiment. D'être dans la norme. D'être une copie monochrome, uniforme et sans âme.
Je sens son regard posé sur moi. Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir que ses yeux ne me lâche pas. Je sens les battements de mon cœur s'accélérer, les fortes pulsations du sang dans mes veines. Je n'en ai pas besoin, et pourtant je me retourne. D'un léger mouvement de tête, presque anodin je plonge mes yeux dans les siens. J'aimerai ne pas devoir faire semblant mais je sais bien que je ne le peux pas. J'en suis incapable.
-
Hey, tu vas bien ?
Je sursaute et regarde Manon qui m'observe d'un air faussement inquiet. Je pose une main sur mon cœur, il bat si fort que j'ai peur qu'elle l'entende et répond, dans un demi-mensonge ;
-
Oui, j'ai juste un peu mal au cœur...
- Ah je vois ! J'ai un doliprane si tu veux. -elle eut un gloussement ridicule- Pendant un moment j'ai crut que tu regardais l'autre PD de Bastien !
Après un regard dédaigneux vers le fond du bus, montrant clairement son aversion pour le métalleux, elle se retourne à nouveau et me donne un médicament avec une bouteille d'eau. Mon sang cesse de pulser aussi fort sous ma peau, les battements de mon cœur se font plus calmes tandis que je serre les dents. "PD". Evidemment.
Ils sont haïssables.
Je tourne le regard vers la vitre, toujours aussi opaque et emplit de buée. Je ne veux plus me cacher et faire semblant, je ne veux plus détourner les yeux. Je tourne la tête vers le fond du bus, les yeux noisettes de Bastien replongent immédiatement dans mes yeux vert.
Là, assis dans ce bus miteux sur un siège aux couleurs passées, dans la fade lumière d'un néon, il resplendit. Trop. Il assume sa différence. Il assume ce qu'il est. Il assume son identité.
Moi pas.
J'en suis incapable.
Je ne veux pas être rejeté.
Je ne veux pas.
Etre harcelé. Frappé. Menacé. Moqué.
Je ne veux pas.
Les dégouter.
J'ai peur.
De ma différence.
J'ai Peur.
De ce que je suis.
Je ne suis pas comme lui. Je ne suis pas un héro. Alors je me renforce dans mon siège en détournant les yeux. Les gens sont haïssables. Je suis haïssable. Finalement, c'est moi qui me donne envie de vomir.
Fin
De SachaOakenshield.
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Concours (fini)
Diversos*Ce livre de concours est légèrement saturé, c'est pourquoi un autre ouvrage vous est proposé, reconnaissable à sa couverture bleue*