Anti-héros 12

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Anti-héros

Les  vitres du bus sont opaques. Jouant avec les formes et la lumière,  changeant le paysage du Centre de la France en un amas de grisaille  informe. Ce bus est sale. La poussière, la condensation et les traces de  pluie rendent la visibilité hasardeuse.

Je  devine le paysage plus que je ne le vois, à travers la poussière. Je  soupire déçu ; je ne pourrai pas me distraire en regardant le paysage  défiler. Et Dieu sait, qu'à part cela il n'y a pas grande distraction  dans un bus. Cela fait plus de vingt minutes que je tente sans succès  d'apercevoir réellement un morceau de paysage.  Mon regard finit par se  poser sur les autres passagers. Je n'ai jamais adressé la parole à la  plupart d'entre eux, et pourtant je devine sans peine les grands traits  de leur caractère. Ils sont tous semblables, ils sont tous haïssables.  Je suis assis au milieu d'êtres insignifiants qui semblent tellement  heureux de baigner dans leur propre merde.

La  fille à coté de moi m'effleure en se tournant vers sa camarade, assise  derrière nous, et je m'éloigne comme si son contact m'avait brûler. D'un  geste, j'essuies ma manche et repose mon regard sur la vitre sale.  Comme ces gens. Ils sont tous sales, dégoutants, des porcs ignobles.

Rien  que d'y songer cela me désole. Je me renfonce dans mon siège. Je  déteste le lycée. Tout ces gens, qui se pensent uniques mais qui ne sont  que des copies monochromes, uniformes et sans âme. Quiconque tente de  se démarquer se fait immédiatement humilier par ces êtres mesquins.

Comme  ce gars, là-bas au fond. Le seul mec de ce minable lycée de province à  avoir les cheveux longs, des t-shirts de métal et a s'y connaitre en  musique. Le seul mec à être ouvertement gay, aussi. Mais si les gens lui  parlaient, ils se rendraient compte que ce type a une culture musicale  de dingue, sait jouer de la guitare électrique et est un pote en or.  Vraiment. Il est la meilleure personne que j'ai connue. Mais les gens  lui parlent pas. C'est plus simple de critiquer sans connaitre. Je les  déteste. Je les méprise.

En  parlant de critique, je remarque du coin de l'œil qu'un groupe de  dindes se moquent de lui. Sans discrétion. Il fait mine de ne pas les  entendre mais je sais que la musique de son casque est éteinte ; quand  il l'écoute, son doigt tape la mesure. Là, il est immobile.

J'ai tellement envie de baffer ces filles. Mais je ne peux pas.

J'ai  tellement envie de rejoindre ce gars, de lui dire que je suis fan de  Slipknot et de Ramstein, que j'ai tout les albums de Korn et que la voix  de la chanteuse de Nightwish me fait vibrer. Mais je ne bouge pas. Il  le sait tout ça. On en a tellement parler. Il y a longtemps. Avant qu'il  ne devienne différent. Avant qu'il n'assume son style. Avant qu'il n'assume son orientation sexuelle, aussi.

Alors  je reste assis, le regard collé contre la vitre, honteux d'entendre les  commentaires que font les filles prés de moi, honteux d'être assis à  coté d'une fille que je méprise. Il reste encore deux longues heures de  trajet.

Je regarde ces gens, si bêtes et si inconscients de l'être, parfois je me dis que j'aimerai en faire partie.

Parfois  je pense qu'il serai si simple de se faire porter par les autres, de ne  pas réfléchir et de bêtement suivre. Ces jours-là, quand mon âme aspire  à entrer dans la norme, j'écoute les derniers rappeurs à la mode et met  une téléréalité quelconque à la télé. Je tente de m'y intéresser. En  vain. J'essaye pourtant. Ce serait moins douloureux d'aimer ce que les  autres aiment. D'être dans la norme. D'être une copie monochrome,  uniforme et sans âme.

Je  sens son regard posé sur moi. Je n'ai pas besoin de me retourner pour  savoir que ses yeux ne me lâche pas. Je sens les battements de mon cœur  s'accélérer, les fortes pulsations du sang dans mes veines. Je n'en ai  pas besoin, et pourtant je me retourne. D'un léger mouvement de tête,  presque anodin  je plonge mes yeux dans les siens. J'aimerai ne pas  devoir faire semblant mais je sais bien que je ne le peux pas. J'en suis  incapable.

-      

  Hey, tu vas bien ?

Je  sursaute et regarde Manon qui m'observe d'un air faussement inquiet. Je  pose une main sur mon cœur, il bat si fort que j'ai peur qu'elle  l'entende et répond, dans un demi-mensonge ;

-      

  Oui, j'ai juste un peu mal au cœur...

-         Ah  je vois ! J'ai un doliprane si tu veux. -elle eut un gloussement  ridicule- Pendant un moment j'ai crut que tu regardais l'autre PD de  Bastien !

Après  un regard dédaigneux vers le fond du bus, montrant clairement son  aversion pour le métalleux, elle se retourne à nouveau et me donne un  médicament avec une bouteille d'eau. Mon sang cesse de pulser aussi fort  sous ma peau, les battements de mon cœur se font plus calmes tandis que  je serre les dents. "PD". Evidemment.

Ils sont haïssables.

Je  tourne le regard vers la vitre, toujours aussi opaque et emplit de  buée. Je ne veux plus me cacher et faire semblant, je ne veux plus  détourner les yeux.  Je tourne la tête vers le fond du bus, les yeux  noisettes de Bastien replongent immédiatement dans mes yeux vert.

Là,  assis dans ce bus miteux sur un siège aux couleurs passées, dans la  fade lumière d'un néon, il resplendit. Trop. Il assume sa différence. Il  assume ce qu'il est. Il assume son identité.

Moi pas.

J'en suis incapable.

Je ne veux pas être rejeté.

Je ne veux pas.

Etre harcelé. Frappé. Menacé. Moqué.

Je ne veux pas.

Les dégouter.

J'ai peur.

De ma différence.

J'ai Peur.

De ce que je suis.

Je  ne suis pas comme lui. Je ne suis pas un héro. Alors je me renforce  dans mon siège en détournant les yeux. Les gens sont haïssables. Je suis  haïssable. Finalement, c'est moi qui me donne envie de vomir.

Fin


De SachaOakenshield.

Concours (fini)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant