Utopie 16

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Utopie


Si j'étais un animal de compagnie, je serai sans aucun doute Garfield. Du moins, c'est l'image que je dois donner, affalée sur mon canapé en pyjama, mon ordinateur sur les genoux, un pot de glace et une tablette de chocolat à portée de main.


Ça va bientôt faire six mois que je travaille sur mon bouquin. Il s'intitule "When we were young" et traite de l'histoire de trois amis d'enfance à la retraite qui partent faire le tour du monde. Lucas qualifie mes écrits de "barbants". Je ne prend pas son mépris personnellement, Il a horreur de la lecture. D'ailleurs, il est allergique à toute forme d'art. Les seuls écrits qui l'intéressent sont des pavés de théorèmes mathématiques. Monsieur estime que faire des études dans le but de devenir professeur agrégé de maths à l'université vaut mieux que d'écrire un "stupide bouquin".


"Et ça rapporte plus" aurait ajouté ma mère avec dédain.


Pour qu'ils me laissent tranquille, j'avais trouvé un travail à mi-temps dans une bibliothèque. Ce n'étais pas le travail qui allait me valoir le respect profond de ceux-ci, mais au moins, j'avais la paix et ça me permettait de ramener un peu d'argent tout en pouvant travailler sur mon livre. Jusqu'ici, tout cela me suffisait. Mais depuis quelques semaines, ma situation semblait se dégrader de jours en jours. Ma relation avec Lucas se détériorait petit à petit, mon travail m'ennuyait et on avait du mal à trouver l'argent nécessaire pour vivre. Par dessus tout, j'avais perdu l'inspiration. Je ramais depuis des semaines. J'écrivais, je modifiais, et je finissais par tout effacer. Quand il m'arrivait de m'acharner à écrire un chapitre, c'était mauvais, et aucun éditeur n'accepte de mauvais livre, pas plus qu'un lecteur en voudrait l'acheter. Si je en trouvais pas l'inspiration très vite, j'étais foutue.


"- T'es encore là?" Lucas me colle un baiser sur le front et s'éloigne pour mettre sa veste. "Tu ne commences pas à 14h aujourd'hui?


- Non, la bibliothèque est fermée aujourd'hui.


- Et ben, tu parles d'un travail...


- Je ramène autant d'argent que toi, par conséquent, c'est un travail.


- Vois les choses comme tu veux.


- S'il te plaît, je n'ai pas la force de me prendre la tête avec toi aujourd'hui.


- Et moi je n'ai pas le temps. Il y en a qui travaillent, ici.


- C'est ça.


- A ce soir, je t'aime.


- Moi aussi je t'aime."


Ces paroles ne sont depuis longtemps plus des mots sincères. Après six ans, elles sont devenues un rituel, comme "bonjour" ou "au revoir". Rien de plus.


Je regarde Lucas sortir en claquant la porte. C'était différent, au début. J'imagine que c'est le genre de choses qui arrive avec le temps. Les gens se perdent. Je soupire et me remet à mes occupations. Durant l'après-midi, je passe du temps sur Youtube, je finis mon pot de glace, je tourne en rond dans l'appartement, je prend une douche, je lance une machine et revient enfin à mon ordinateur. Mais cette fois, au lieu d'ouvrir mon dossier "When we were young", j'en créée un nouveau, et je tape en lettres majuscules "UTOPIE".

Concours (fini)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant