Chapitre VI

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"Allez Matt' détruis-les ! Montre leur qui c'est le patron !
- Louisa, il a même pas le ballon là...
- Et alors ? Il peut quand même les frapper, ça en fera moins sur le terrain."
Cela faisait bien une heure que Louisa vociférait en regardant Matthieu jouer. On ne pouvait pas dire qu'elle comprenait grand chose aux règles complexes de l'ovalie, mais elle y mettait du sien pour encourager notre ami, je devais bien l'avouer. Matthieu en plus de jouer en club était capitaine de l'équipe UNSS de rugby de notre lycée, c'était moins impressionnant que de le voir jouer avec sa vraie équipe, mais cela restait très divertissant. Il avait insisté pour qu'on vienne le voir jouer son match amical contre un lycée d'une ville voisine. Enfin, ce match n'avait que le nom d'amical. Il y'avait déjà eu plusieurs escarmouches entre les joueurs ce qui avaient semblé éveiller Louisa, qui n'arrêtait pas d'injurer l'équipe adverse. Heureusement que nous n'étions pas nombreux dans les tribunes, c'était déjà assez difficile de supporter une braillarde. La grande Russe s'était relevée, agitant les bras et tentant vainement de siffler avec ses doigts.
"Mais qu'il arrête son cinéma l'autre il a rien !
- Sa tête a quand même un peu heurté le sol...
- Ben bien fait pour sa gueule ! Il avait qu'à lâcher le ballon."
Elle se mit alors à huer l'arbitre lorsque ce dernier pointa son carton jaune sur le joueur qui avait plaqué si violemment son adversaire. J'abandonnai, cela ne servirait à rien de la raisonner, elle finirait bien par se fatiguer toute seule.
Ignorant ma camarade surexcitée, je laissai mon esprit divaguer en observant le match de mon ami. Je n'avais jamais été très doué en sport mise à part l'escalade pour en avoir pratiqué plus jeune, mais j'appréciais regarder un match. Mes pensées dérivèrent vers Alice, et la journée d'hier. Lorsqu'elle m'avait laissé, esseulé dans les couloirs. J'étais resté de longues minutes debout, stoïques, ne sachant que faire. Ce fut la sonnerie marquant la fin de la pause déjeuner qui me força à bouger. J'étais rentré chez moi. Je n'avais aucune envie de rester assis tout un après-midi sur une chaise à écouter les professeurs crachaient leur cours sans conviction. Mon bus n'arrivant que dans une heure, j'avais décidé de rentrer à pieds, chez moi. Certes, mon lycée n'était pas à côté de mon domicile, mais j'avais besoin de cette petite promenade, ne serait-ce que pour me vider la tête et l'esprit. Et cela n'avait pas semblé déranger ma mère. Elle était rentrée tard comme d'ordinaire, les yeux creusés par de larges poches.
"Le lycée m'a appelée, tu étais absent cet après-midi ?
- Oui.
- Ethan... Essaie de faire un effort s'il te plaît, je sais que tes cours ne sont pas très palpitants, mais cela ne t'apportera rien de sécher."
Ses remontrances s'étaient arrêtées là. Je ne lui avais pas répondu. À quoi bon aller au lycée si c'était pour avoir une vie aussi minable que la sienne ? Je me posais souvent la question. Pour ne pas devoir subir d'autres sermons de sa part, j'étais tout de même allé en cours le lendemain et j'étais désormais assis dans les gradins à regarder mon ami jouer. Nous étions en fin d'après-midi. Je n'avais pas croisé Alice de la journée, et je n'étais pas sur de vouloir la revoir. Sa présence devenait perturbante, voir angoissante. Cette foutue blonde m'embrouillait l'esprit.
"Les filles ont peur des gentils garçons parce qu'ils ont tellement plus à cacher que les autres."
Ses paroles tournoyaient dans mon esprit, résonnant comme un écho. Je détestais la façon qu'elle avait de scruter mon âme, mis à nu devant cette fille que je connaissais à peine. C'était effrayant de voir à quel point elle lisait si facilement dans le regard des gens tandis qu'elle restait aussi lisse que de l'eau. Une main passa devant mes yeux, me tirant de mes pensées. Je tournai la tête, Louisa m'observait, les sourcils froncés.
"T'as fini de planer c'est bon, tu peux m'écouter ?
- Oui...
- Bon ! Je te demandais, tu sais quelle classe va participer au projet de fin d'année ?
- La mienne déjà.
- Merci Sherlock ! Je ne me doutais absolument pas que la classe d'art allait participer au projet artistique de fin d'année."
Son ton ironique me fit sourire. J'avais pris l'option facultatif "art et dessin" cette année, c'était le seul cours que j'appréciais vraiment mais hélas, nous n'avions que deux heures par semaine. Chaque année le projet étant que la classe art travaille avec une autre classe pour créer un spectacle ou du moins un projet de fin d'année à présenter au lycée. Jusqu'aux vacances de la Toussaint nous décidions du thème et des grandes idées du projet puis après, la classe choisie pour nous aider par notre professeur nous était révélée et nous commencions le projet. A cause de ma côte fêlée je n'avais pas pu assister à ce fameux cours depuis la reprise, je n'avais donc aucune idée de la classe qui allait nous aider. Personnellement, cela m'importait peu. Je n'étais pas une personne possédant un grand esprit d'équipe, je trouvais qu'un partenaire ralentissait plus qu'autre chose et que les caractères diamétralement opposés créaient des tensions inutiles. Je me débrouillerai pour prendre le dernier des imbéciles, je serai ainsi sur qu'il ne travaillerait pas et qu'il me permettrait de faire ce que bon me semble.
"J'espère que ça sera ma classe ! J'ai déjà d'excellentes idées à mettre en place ! poursuivit Louisa.
- Tu ne sais même pas sur quoi porte le projet cette année.
- Je suis un caméléon, je m'adapte, dit-elle en riant, dites-moi donc monsieur Siwel, quel est le projet de votre classe cette année ?"
Je lui souris. À vrai dire, le projet cette année était assez particulier. Il n'y avait pas vraiment un thème précis mais plutôt une problématique. "Quelle serait pour vous la plus belle preuve d'amour possible ?" Notre professeur avait décidé cette année que le projet se présenterait sous forme d'exposition, chaque groupe présentant sa réponse à la question posée. On pouvait dire qu'il avait décidé d'innover, toutes les formes d'art étant acceptées, la plus appréciée serait même récompensée. Hélas, le thème de l'amour où tout ce qui touchait à ce sentiment mielleux ne m'inspirait que peu. Disons que je le rapprochais encore trop d'Anna... Ma mâchoire se crispa en repensant à mon ancienne copine mais j'essayais de chasser mes sombres souvenirs, répondant plutôt à la question de Louisa.
"C'est vraiment cool je trouve ! s'exclama-t-elle, Au moins Monsieur Anderse innove un peu ! Matthieu a enfin fini, viens on va le rejoindre."
Je n'eus pas le temps de dire quoi que ce soit qu'elle se leva et descendit à toute vitesse les marches des tribunes pour rejoindre notre ami qui saluait l'équipe adverse. La grande blonde se jeta sur lui, le prenant par les épaules et manquant de le renverser.
"Il est là notre champion !"
Je souris en voyant Matthieu, essayant de se libérer de l'étreinte de la jeune fille. Je consultai l'heure sur mon téléphone et grimaçai, j'allais être en retard au cours d'art. Je crois qu'il s'agissait du seul cours où j'étais toujours à l'heure voir même ponctuel. Saluant rapidement mes deux amis, je filai donc du terrain du lycée pour rejoindre la salle de cours. Les cours d'art se déroulaient dans le bâtiment le plus proche du gymnase, je n'étais donc pas très loin, si j'avais un peu de chance, j'arriverai juste à temps.
La sonnerie du lycée retentit lorsque ma main s'abaissa sur la poignée de la salle. Mes camarades commençaient à s'installer et je me faufilai discrètement parmi eux, rejoignant la première place libre que je trouvais. Lorsque tout le monde fut assis et silencieux, notre professeur commença son cours. Monsieur Anderse était un homme d'âge moyen, aux lunettes rondes, toujours vêtu de chemises et les cheveux en bataille. Il avait ce côté décalé propre aux artistes que j'affectionnai beaucoup. Il était hors des règles, un original qui savait mener un groupe d'adolescents affectionnant l'art. Un petit sourire flottant sur ses lèvres, il tapa et frotta ses mains, puis s'exclama :
"Bien ! Donc maintenant vous savez que nous allons travailler en collaboration avec la Terminale L4. Ne vous inquiétez, je me suis informé, ils sont peu à fumer des joints ou ce genre de conneries, sa remarque fut ponctuée de quelques rires, à cause de soucis d'emplois du temps les terminales L ne pourront pas venir avec nous le jeudi après-midi travailler mais comme je suis plus persuasif que le serpent de la bible, j'ai réussi à négocier deux autres heures pour travailler en groupe avec la terminale L le vendredi après-midi."
Je souris, heureux de pouvoir passer un peu plus de temps dans ce cours, je finirai désormais tard le vendredi mais si c'était pour dessiner, cela ne me dérangeait pas.
"Des questions ? je levai le bras, oh ! Ethan l'absentéiste ! Dis moi tout.
- J'étais seulement absent jeudi dernier... fis-je remarqué légèrement irrité puis reprenant, les groupes ont déjà été formés pour le projet ?
- Te rends-tu compte ? Tu n'es pas là deux heures et te voilà perdu, le temps est vraiment une notion cruelle... il se perdit dans ses réflexions quelques instants puis reprit, oui, les groupes sont pour la plupart par trois, sauf le tien et celui de Jessica, nous voulions que chaque élève de L soit avec l'un d'entre nous et les groupes de quatre sont compliqués à gérer. A deux vous irez plus vite, je l'espère.
- Et qui est avec moi ?
- Je ne sais plus trop... une jeune fille, Alicia ? Licia ? Quelqu'un s'en souvient ?
- Alice, Alice Rosalia."
Je frissonnai légèrement, ce prénom ne m'étant pas indifférent, me souvenant de son patronyme sur les réseaux sociaux. Elle me suivrait donc jusqu'au bout.

L'effet papillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant