Cela sembla durer une fraction de seconde, un instant bref presque hors du temps, où j'avais été comme privé de penser. Mon esprit s'était subitement vidé, le temps avait semblé s'arrêter un cours instant, son parfum de vanille emplissant mes narines, me montant au cerveau, sans que je ne réagisse. Lorsqu'elle s'écarta de moi avec cette étrange douceur que je ne lui connaissais pas, le monde sembla reprendre vie autour de moi. Je me remis à respirer, papillonnant frénétiquement des yeux, le grondement sourd de la fête battant son plein dans la maison revenant à moi peu à peu, comme-ci je sortais d'une étrange surdité. Alice ne me regardait pas. Son regard sombre fixé droit devant elle, elle semblait observer quelque chose que je ne pouvais voir, comme contemplant un vieux souvenir qui n'appartenait qu'à elle. Je distinguais faiblement sa silhouette dans le noir, ses mains cramponnant avec force le banc sur lequel nous étions assis, ses longs cheveux virevoltant légèrement, animés par la brise nocturne qui me fit frissonner. Je ne savais pas si je devais me sentir coupable de quelque chose, mais son étrange réaction me le faisait bien croire. Je n'arrivais pas à réfléchir de façon censée, mes pensées s'entremêlant dans un amas noir et compact où je ne pouvais rien discerner clairement. Le temps qui avait semblé se suspendre était désormais pesant, lourd d'une atmosphère indescriptible. Je ne savais pas ce qu'elle attendait, assise là, à contempler la pénombre comme-ci un étrange spectacle se déroulait devant ses yeux de saphir.
"Pourquoi restes-tu ici ?"
Je ne sais pas ce qui me surprit le plus entre entendre le son de sa voix étrangement rauque ou sa question. Son ton n'était même pas froid, il était tout simplement vide, vide de la moindre petite émotion, et je crois que c'est encore plus déstabilisant que si elle s'était mise à me hurler dessus. Je pestai intérieurement, pourquoi mon esprit était si torturé subitement ? Il ne s'était rien passé qui pouvait justifier cette sorte de malaise que je ressentais. Et c'est peut être pour cela que je ne savais que lui répondre. Je sentis son regard glisser sur moi, même si je ne pouvais pas discerner nettement ses iris m'épiant, je le devinais au mouvement de ses cheveux, à sa silhouette qui s'était mouvée de façon différente.
"Pourquoi restes-tu ici Ethan ?"
Je réussis à le discerner, cette pointe de colère mêlée à un peu de tristesse qui imprégna le ton de sa voix, mais pourquoi ?
"Pourquoi devrais-je partir ?
- Je te l'ai déjà dit.
- Mais non Alice ! Tu ne dis jamais rien !"
Mes paroles semblèrent jeter un froid, car, elle ne me répondit pas. Je ne savais pas si elle était vexée, offusquée, attristée ou bien que sais-je encore, mais elle garda le silence le plus total. Elle finit même par quitter le banc, me laissant esseulé, comme un con, le vent froid fouettant mon visage. Je ne comprenais pas, je ne la comprenais pas, quelque chose n'allait pas avec elle, et c'était peut-être ça, qui faisait que je la laissais s'insinuer autant dans ma vie.***
Je n'avais pas croisé Alice de la semaine. Durant la soirée de Matthieu, elle avait semblé soigneusement m'éviter si bien que j'avais du passer le reste de la nuit à supporter les plaisanteries stupides de Dorian et Lucas. Dimanche, en rentrant chez moi, j'avais songé à lui envoyer un message avant de me raviser. Qu'est ce que j'avais à lui dire après tout ? Rien, peut-être tout cela n'était que le fruit de mon imagination, et peut-être que j'avais simplement un peu trop bu. Arrête tes conneries, tu te voiles la face... Mon esprit me répétait sans cesse cela mais je l'ignorais, il ne s'était rien passé. Lors des cours d'art, je m'étais retrouvé seul, la demoiselle n'était pas venu. J'avais cependant trouvé une inspiration nouvelle, qui m'avait permis d'élaborer le papillon, son papillon, formant une traînée de poussière, dessinant de vagues esquisses. Tout se concrétisait peu à peu dans mon esprit, mais il me fallait plus de temps pour le retranscrire sur du papier.
Le samedi matin, je m'étais réveillé tôt, l'esprit agité par je ne sais quels obscures rêves. Ma mère n'était pas rentrée cette nuit, certainement pour travailler comme d'ordinaire, j'avais donc du m'occuper de Matthis qui restait béat devant la télévision, son bol de lait entre les mains. Il ne réagit que lorsque je fis claquer mes doigts près de son oreille.
"Thanou ! s'indigna-t-il.
- Tu devrais pas regarder ces trucs le matin ça rend bête.
- Tu dis n'importe quoi !"
Il se mit à bougonner en portant son bol à ses lèvres.
"Au moins moi c'est pas une fille qui me rend bête..."
Je failli m'étouffer avec une de mes tartines en l'entendant dire cela. Il se mit à glousser en continuant de fixer l'écran en face de lui comme-ci de rien n'était.
"Pourquoi tu dis ça canaille ? lui demandai-je en toussotant encore légèrement.
- Ben depuis que tu vois cette fille, soit tu rentres à la maison content, soit pas content, c'est un peu pénible.
- Qui te dit que c'est à cause d'Alice ?
- Bah je sais pas ! Mais depuis que c'est ta copine t'es tout le temps comme ça !
- Ce n'est pas ma copine Matthis ! rétorquai-je.
- Pourquoi elle a fait un dodo à la maison alors ?"
Il avait tourné la tête vers moi et l'innocence qui transparait à travers ses grands yeux clairs me fit sourire et me mit mal à l'aise également. Je passais une main dans mes cheveux avant de lui répondre d'une voix balbutiante :
"On, on travaillait... rien de plus.
- Oh ! D'accord !"
Il me sourit avant de retourner à la contemplation de ses dessins animés. Cela m'avait surpris de l'entendre dire cela, il n'avait vu Alice que deux fois après tout ! Les souvenirs de la soirée de Matthieu me revinrent alors à l'esprit, lorsque nous étions tous les deux assis sur ce banc, dans l'obscurité la plus complète... Je secouai la tête, était-ce vraiment mon imagination ? Je ne savais pas trop, mais l'attitude étrange d'Alice qui semblait m'éviter et m'ignorer depuis cette fameuse nuit. Je ne savais pas trop quoi penser, mais sa réaction m'avait plus que surpris. Que faire ?
Je me souvins alors de ce qu'elle m'avait dit, elle n'habitait pas loin. Étant assez excentré de la ville même, il serait peut-être simple de trouver sa maison. J'observais Matthis, qui continuait de visionner son dessin animé tranquillement, je ne pouvais pas le laisser seul, il était bien trop petit et... Casse-cou.
"Matthis finis ton déjeuner et prépare-toi !
- Mais on est samedi, y'a pas école ! protesta-t-il.
- On va se promener."
Il me jeta un regard interrogateur avant de hausser les épaules et de sauter du canapé pour rejoindre sa chambre. Je l'imitai bien rapidement, me préparant dans la salle de bain, enfilant un simple sweat gris, et un jean noir et ébouriffant un peu plus que d'habitude mes cheveux, je ne mis pas longtemps à finir mon petit rituel du matin et de redescendre au rez-de-chaussé. Matthis était assis sur l'une des marches, semblant batailler avec les lacets de ses chaussures. Je souris en le voyant marmonner quelques interjections à ses baskets tandis qu'il se mettait à taper les pieds contre les marches de bois
"Hé calme toi canaille !
- J'arrive pas à faire mes lacets ! s'exclama-t-il en croisant ses bras sur sa poitrine.
- Pas la peine de t'énerver, regarde je te montre."
La mine bougonne, il m'observa cependant lui nouer une de ses chaussures rapidement. Je l'entendis souffler d'exaspération ce qui me fit légèrement sourire.
"A toi maintenant."
Dans un grognement il attrapa les lacets de son autre pied et après quelques tentatives infructueuses, il réussit finalement à faire un nud potable. Son visage se fendit en un large sourire.
"T'as vu Thanou ! J'ai réussi !
- Oui canaille, c'est bien."
Je lui ébouriffai les cheveux tendrement, souriant en l'entendant rire. Il se leva pour aller chercher son manteau, je l'imitai donc, attrapant mon téléphone au passage avant d'affronter le froid hivernal. Prenant la petite main de mon frère dans la mienne, j'ouvris la porte d'entrée, la bise glaciale me fouettant presque aussitôt le visage.Nous marchâmes pendant plusieurs minutes sur le sol froid, la neige ne tarderait pas à recouvrir les trottoirs et les toits des maisons, les vacances de Noël approchant de plus en plus. J'y songeai pendant quelques instants, Noël, une fête de "familles", je ne savais pas trop si l'on pouvait qualifier mon foyer d'une famille. Ma mère n'était presque jamais là et je préférais oublier mon père, si l'on pouvait l'appeler ainsi. Il n'y avait que peu de maisons autour de nous, nous étions presque en bordure de forêt et la plupart des terres nous entourant n'étaient que des champs, appartenant à des paysans que nous ne voyons que peu souvent. Néanmoins, je savais que depuis peu une maison avait été construite dans les alentours, surement celle d'Alice. Nous avancions sans parler, j'entendais Matthis chantonner en observant les champs alentours.
"Thanou ? s'exclama-t-il alors.
- Oui ?
- Ca fait longtemps qu'on n'est pas allé dans la forêt...
- C'est vrai.
- On pourra y aller demain ?
- On verra canaille."
Je l'entendis pousser un petit soupir. C'est vrai qu'avant nous passions des après-midi entières perdus dans les bois, lui à construire des cabanes en tout genre et moi à dessiner ce que la forêt m'offrait. Je ne sais plus trop pourquoi nous avions perdu cette habitude, mais visiblement, ça lui manquait.
Finalement, nous arrivâmes enfin devant cette fameuse maison. Elle n'avait rien d'extraordinaire, ressemblant au chez-soi de tout le monde mais je ne sais pourquoi, je me sentis soudainement très mal à l'aise. Entourée de barrières basses peintes en blanc, l'entrée n'était qu'un simple portillon, laissé ouvert, surement pour permettre aux visiteurs de venir sonner directement à la porte d'entrée. C'est ce que je fis donc, Matthis me suivant en trottinant. Je restais de longues secondes devant la porte de bois sombre, ne sachant si je devais toquer ou faire demi-tour, tout ceci était tellement étrange... Je ne savais pas trop pourquoi je ressentais ce sentiment de gêne c'était étrange.
"T'attends quoi ? demanda alors mon petit frère, fais toc toc !"
Voyant que je ne lui répondais pas, Matthis lâcha ma main pour s'approcher de la porte et tambouriner avec force à l'aide de ses petits poings.
"Matthis doucement !"
Il se mit à rire et avant que je ne puisse le sermonner un peu plus, la porte s'ouvrit, sur son visage.
"Ethan ?"
Sa voix était éraillée et lorsque mon regard croisa le sien, je me rendis compte que ses yeux étaient rougis.
"Tu as pleuré ? m'exclamai-je.
- Qu'est ce que tu fais ici ?
- Je..."
Je ne savais pas trop quoi lui répondre, cette situation était assez étrange selon mon point de vue. Cette fille était toujours incernable, je n'arrivais pas à réfléchir correctement car elle ne semblait pas fonctionner correctement. Je poussai un soupir, passant ma main dans mes cheveux, que dire ? Autant aller à l'essentiel...
"Il faut qu'on parle.
- Cela ne peut pas attendre ?
- Tu es occupée ?
- Non, pas spécialement.
- Alors parlons."
Je la vis esquisser un petit sourire. Elle pencha sa tête sur le côté, quelques unes de ses mèches blondes glissant sur son visage.
"Et bien si monsieur Siwel veut parler, parlons donc a l'intérieur."
Elle ouvrit la porte et s'inclina légèrement, nous invitant à entrer.
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L'effet papillon
Teen FictionComme quoi, une simple poignée de main peut tout changer. Ethan a 17 ans et étudie au lycée Baudelaire. Jeune homme solitaire et peu studieux, il rêve depuis des années de pouvoir vivre de sa passion : le dessin. Il trouve la vie terne, devant faire...