Chapitre V

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Nous étions mercredi, je reprenais ce jour les cours. Mes côtes étaient beaucoup moins douloureuses mais je les sentais toujours fragiles, un moindre choc pourrait s'avérer être une grande souffrance. Ma motivation était au plus bas. Reprendre le travail, revoir toutes ces personnes que je détestais, croiser cet abruti de Julien... Le lycée me déclenchait presque des allergies tellement cela me répugnait de me rendre dans cet endroit créer pour faire de nous des moutons. Les seules personnes réussissant l'exploit de me motiver étant Louisa et Matthieu. Et c'était les appels incessants de cette dernière qui m'avaient tiré de mon sommeil. J'avais d'abord essayé de l'ignorer mais elle était têtue, j'avais finalement décroché dans un râle.
"Et ben enfin ! J'ai cru que t'étais mort ! se mit-elle à hurler me faisant grimacer.
- Qu'est-ce que tu me veux ? Bordel Louisa il est six heures du matin !"
Elle se mit à ricaner ce qui m'arracha un nouveau grognement. Me passant une main sur le visage, je soupirai, la journée allait être longue.
"Allez bouge ton cul Siwel, et essaie de pas être en retard."
Elle raccrocha. Je lâchai mon téléphone qui tomba mollement sur mes couvertures. Le regard rivé sur le plafond aux poutres apparentes, je restais de longues secondes ainsi avant de finalement me décider à me relever. Je pris soin de m'étirer longuement, m'assurant que mes douleurs n'étaient pas revenues, j'étais en parfaite santé, je n'avais aucune excuse, hélas, pour rallonger mes vacances impromptues. Je me levai donc péniblement, ma journée commençant enfin.
L'hiver s'installait peu à peu. Le temps s'était extrêmement rafraîchi en quelques jours, le monde serait bientôt recouvert d'un manteau blanc de poudreuse. J'avais pris soin de m'emmitoufler dans un épais manteau et d'enfoncer un bonnet de laine profondément sur ma tête, on voyait à peine mes yeux. Un léger nuage blanc s'échappait d'entre mes lèvres, même ainsi couvert, je sentais l'air froid me transpercer. Pourvu que ce foutue bus arrive moins en retard que d'habitude... Des bruits de pas légers me firent tourner la tête, j'eus un petit sourire en reconnaissant Alice. Elle avait entouré son cou d'une écharpe en laine et enfilé un large pull bordeau. J'arquai un sourcil en la voyant ainsi vêtue, ne semblant pas craindre le froid qui me faisait grelotter.
"Salut." déclarai-je simplement.
Elle m'ignora, son regard rivé sur un petit carnet ouvert entre ses mains. Je fronçai les sourcils mais ne fis aucune remarque face à son silence, me contentant d'enfiler mes écouteurs et de me laisser bercer par la musique s'en échappant.

Finalement, la matinée s'était déroulée paisiblement. Je n'avais reçu aucune brimades, les autres lycéens s'étant contenté de m'ignorer, comme d'ordinaire. Et, à mon plus grand bonheur, je n'avais pas croisé Julien. Une matinée banale, on ne m'avait pas posé de questions, tout allait parfaitement bien. J'avais rejoint Matthieu et Louisa, cette dernière s'était littéralement jetée sur moi, me qualifiant de tous les synonymes possibles et inimaginables de "connard" parce que je leur avais donné que peu de nouvelles durant ma convalescence. Enfin, je la connaissais depuis le plus jeune âge, je savais qu'elle avait la mauvaise habitude de s'emporter à la moindre chose la contrariant. Louisa était une grande fille au caractère fort. Personnellement, je la trouvais jolie. D'origine russe, elle en avait tiré sa peau claire et son regard de glace transpercant, ainsi que son nom de famille imprononçable. Matthieu était totalement différent. C'était le genre de garçon peu bavard et qui pourtant avait ce charme attirant beaucoup de filles. Il avait commencé la guitare il y'a quelques années et était un fervant adepte du rugby depuis le plus jeune âge. Lorsque la tornade russe s'était jetée sur moi, il s'était discrètement glissé à mes côtés en chuchotant :
"Courage mon vieux."
J'avais esquissé un léger sourire que Louisa avait très vite remarqué.
"Et ça te fait sourire en plus ?! avait-elle hurlé, Ethan Siwel vous êtes un con ! Pendant que je m'inquiète pour toi t'es là à batifoler avec une blonde qui sort d'on ne sait où et tu penses même pas à donner des nouvelles !
- Arrête de brailler putain, tout le monde nous regarde...
- Mais j'en ai rien à foutre !"
Elle serra les poings, son regard polaire me jetant des éclairs et pivota sur elle-même, commençant un long monologue dans sa langue natale comme elle avait l'habitude de le faire lorsque la colère l'envahissait. Je jetai un regard à Matthieu, cet imbécile se mordait les joues pour étouffer le rire qui tordait son visage en un sourire dissimulé. Je lui donnai un coup de coude et il me lança un clin d'oeil, j'avais l'impression que nous étions les deux enfants se faisant réprimander par leur marâtre, à savoir Louisa. Cette dernière continuait son monologue, agitant ses bras en faisant cliqueter les nombreux bracelets à ses poignées. Matthieu posa sa main sur mon épaule :
"Allons manger, elle finira bien par nous rejoindre une fois calmée."
J'acquiesçai d'un bref signe de tête et nous nous éclipsâmes, laissant la tempête soviétique déverser sa colère seule. Nous ne mîmes pas longtemps à prendre notre repas et à nous installer à une table, rejoint par quelques camarades et connaissances de mon ami. Il était rare que nous mangions seulement tous les trois avec Louisa. Matthieu, même s'il n'était pas très loquace, avait beaucoup d'amis, enfin personnellement, j'appelais plutôt cela des connaissances. Et ces fameux amis nous avaient rejoints, deux garçons de son équipe de rugby que j'avais aperçu de temps en temps, une fille qui m'était complètement étrangère et... Alice. Je décidai de l'ignorer, imitant son attitude du matin. Placé en face d'elle, je me mis à discuter avec Matthieu à ma droite, avalant quelques cuillères du repas infâme de la cantine au passage.
"J'ai appris que t'avais revu Anna, s'exclama mon ami.
- En effet...
- Et alors ? demanda-t-il.
- Elle a un nouveau mec, répondis-je.
- Il est comment ?
- Matt'... T'es vraiment sérieux ?
- Je demande juste."
Je lui jetai un regard éberlué et il se contenta de hausser les épaules en passant la main dans ses cheveux châtains. Je soupirai, mon regard dérivant sans que je m'en rende compte vers Alice, qui avait un léger sourire en coin. Je plissai les yeux et lui demandai d'une voix sèche :
"T'as quelque chose à dire ?"
La jeune fille blonde ne sembla aucunement offusquée par le ton que j'avais employé, une lueur malicieuse dans ses yeux bleus. Elle tourna alors la tête vers Matthieu et lui répondit en remettant une mèche de cheveux en place :
"Il est grand et va certainement à la salle vu les bras qu'il avait. Une mâchoire carrée et des cheveux claires et bouclés.
- Une belle gueule c'est ça ? demanda mon ami en riant.
- Je ne peux pas dire le contraire.
- Tu t'es bien rincée l'oeil on dirait. Ça va, tu t'es remise de tes émotions ?
- Et toi des tiennes ? répliqua-t-elle.
- C'est quoi ton problème ?!"
Alice m'adressa un regard interrogateur, penchant la tête sur le côté. La mâchoire contractée, je serrai fort mon plateau entre mes mains, mes phalanges blanchies. Il le savait pourtant, je n'aimais et je ne voulais plus entendre parler d'Anna ou de quoi que ce soit en rapport avec elle. Son visage fin aux yeux perçants passa furtivement dans mon esprit, je sentis mon coeur se serrer en me remémorant ces moments où elle était blottie contre moi, sa chevelure flamboyante dégageant une douce odeur de vanille... Matthieu posa sa main sur mon épaule, je ne daignai même pas tourner la tête.
"Ça va mec ?"
J'écartai sa main d'un geste dédaigneux et me redressai, mon plateau entre les mains, mon sac sur l'épaule, je quittai la table d'un pas rapide sous les regards hébétés des amis de Matthieu. Ce dernier me héla à plusieurs reprises mais je l'ignorai, l'esprit bouillonnant. Me débarrassant de mon plateau, je manquai de bousculer Louisa, qui se dirigeait vers notre table. Ne lui jetant qu'un bref regard, je finis par me détourner.
"Tu vas où comme ça !? Ethan !"
Je ne lui répondis pas. J'avais envie de hurler, de quitter ce foutu lycée et d'aller retrouver Anna, savoir qui était ce connard qui la prenait dans ses bras, pourquoi elle m'avait abandonné... Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi ? Pourquoi est-ce que nous, ça n'avait pas fonctionné ? Je pensais que finalement, au bout de trois mois, j'avais oublié, que ce n'était qu'un flirt. Mais trois mois, c'était si court et si long à la fois... Elle était toujours ancrée en moi, elle m'avait abandonné pourtant j'avais toujours l'impression qu'elle était là, à mes côtés, ou du moins, son souvenir. C'est ridicule, j'ai l'impression de parler de quelqu'un de mort... Mes pas m'avaient conduit dans les couloirs les plus éloignés de la cafétéria. A cette heure-ci, ils étaient déserts. M'adossant aux casiers, je donnai un coup de poing rageur, tremblant. Je n'aurais pas du l'accompagner à cette foutue fête foraine, et elle n'avait pas à manger à la même table que moi. Je la connaissais à peine et elle avait déjà ravivé trop de mauvais souvenirs...
"Ethan ?"
Je tournai la tête, étouffant un grognement en reconnaissant ses cheveux blonds.
"Barre-toi."
Elle étouffa un petit rire qui raviva ma colère. Faisant volte-face je m'approchais d'elle jusqu'à ce que mon nez frôle le sien. Elle ne broncha pas.
"Tu crois être intimidant comme ça ? C'est juste ridicule. Amusant, mais ridicule."
Je poussai un long sifflement, mon regard plongé dans ses yeux bleus. Elle ne semblait ni agacée, ni apeurée, juste... Apaisée. Son visage était lisse comme de l'eau, reflétant seulement l'assurance dont elle avait toujours fait preuve. L'adolescente esquissa un petit sourire. Et, sans que je ne m'y attende, elle effleura mon visage du bout des doigts. Le contact me fit frissonner et je sentis toute ma tension redescendre.
"Je ne pense pas avoir de problèmes. Et toi ?"
Sa question me dérouta. Elle avait gardé sa main sur ma joue, et je ne savais que faire. Mon esprit était embrouillé, les mots s'enchaînant trop vite pour que je puisse prononcer quoi que ce soit.
"Et je ne me rinçais pas l'oeil, j'essayais de comprendre comment on pouvait laisser quelqu'un de bien pour un imbécile à la mâchoire carrée et aux muscles creux."
Sa réponse me laissa bouche bée, et elle dut le remarquer car elle m'adressa un clin d'oeil complice.
"Tu es quelqu'un de bien Ethan, ça se voit. Enfin, moi je l'ai vu. Ne laisse personne en douter. Les filles ont peur des gentils garçons parce qu'ils ont tellement plus à cacher que les autres."
Elle me sourit, ce qui me déstabilisa un peu plus avant d'enfin lâcher ma joue et de s'éclipser sans attendre de réponses, me laissant seul et perdu.

L'effet papillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant