C'était comme une douce berceuse, guidant mes pas, un à un, doucement, lentement, mélodie enchanteresse. J'avançais les yeux fermés, nullement anxieux de chuter, guidé par cet air léger. Je sentais les mèches de mes cheveux s'agiter, comme balayées par la brise. Une profonde plénitude emplissait mon corps, un bien-être intense, j'étais tout simplement bien.
"Réveille-toi Ethan..."
Ce murmure me fit sourire, légèrement, comme réconfortant. Une de mes mèches vint me chatouiller le visage, je la chassais d'un mouvement las, mon sourire toujours béat ancré sur mes lèvres. J'étais bien, tellement bien...
"Ethan..."
La commissure de mes lèvres se redressa un peu plus, un souffle chaud caressa la peau de mon visage. Une légère odeur de vanille emplie mes narines, me faisant frémir. Une autre mèche se déposa sur mon front mais, j'eus beau la chasser, elle revenait à chaque fois. La douce berceuse qui résonnait à mes oreilles disparaissait peu à peu, et, même si mes yeux étaient clos, j'avais l'impression très étrange que tout s'évanouissait autour de moi.
"Ethan..."
Cet éclat de voix résonna avec force autour de moi. Mon sourire s'évanouit, remplacé par une grimace. Mon environnement se mit alors à trembler, si bien que mon équilibre devenait précaire, j'avais du mal à tenir debout.
"Monsieur Lewis, réveillez-vous !"Cette exclamation mystérieuse me fit ouvrir les yeux. La vision encore brouillée par le sommeil, je pouvais seulement discerner une forme floue au-dessus de moi. J'ouvris la bouche pour parler mais ne pus que prononcer quelques syllabes inintelligibles. Je dus attendre encore quelques instants pour que mes yeux s'habituent à la lumière et que je puisse découvrir le visage de mon interlocuteur qui n'était autre que...
"Alice ?!"
La demoiselle affichait un large sourire, ses longs cheveux de blés retombant en partie sur mon visage. Elle portait toujours ses vêtements de la veille, la seule différence notable étant qu'elle avait défait son chignon. Ses longs cils charbonneux papillonnaient rapidement, cachant à chaque instant ses iris de saphir. La jeune fille pencha légèrement sa tête sur le côté - elle le faisait à chaque fois, je l'avais déjà remarqué à de nombreuses reprises - faisant s'agiter ses mèches dorées qui effleurèrent négligemment mon visage. La lumière de la fenêtre, venant de derrière elle, formait comme un halo doré, encadrant son visage fin mais dessiné. Je restais ainsi de longues secondes, à contempler les traits de son visage, ne sachant que dire face à son mutisme jusqu'à ce qu'elle se mette à tousser. Elle se redressa, tentant de calmer sa violente quinte, sans succès. Je me redressai sur mon lit, tandis qu'elle s'asseyait, ne parvenant pas à s'arrêter.
"Alice, ça va ? Redresse-toi, tu respireras mieux !"
M'approchant d'elle, je posais mes mains sur son épaule et son dos pour la redresser tout en la frictionnant vigoureusement. Je ne savais pas si mon geste était d'une grande utilité mais sa toux se calma peu à peu, jusqu'à ce qu'elle puisse de nouveau s'exprimer. Rassuré, je poussai un petit soupir et m'affalai sur mon lit tandis qu'Alice reprenait peu à peu sa respiration.
"Je t'avais bien dit que tu finirais par chopper la crève !
- Heureusement que tu étais là pour me sauver de cette pernicieuse quinte de toux."
Elle glissa son regard sombre sur moi, ses lèvres se redressant en un petit sourire narquois qui me fit arquer un sourcil. La jeune fille s'étira paresseusement et se remit à toussoter légèrement. Je roulai des yeux en lui jetant un regard accusateur qu'elle ignora tout bonnement.
"Bon... et si tu me disais ce que tu fais chez moi ?
- Oh ! C'est une longue et fascinante histoire vois-tu ! Un jeune homme de ta carrure et ayant les traits du visage très similaires aux tiens a bien voulu m'ouvrir la porte de cette maison. Nous étions censés travailler ensemble sur un projet commun pour le lycée mais, hélas ! A peine avions-nous commencé notre labeur qu'il s'est assoupi. J'ai donc du travailler seule dans cet environnement peu familier, tentant d'ignorer ce décor oppressant, de passer outre les claquements incessants de la fenêtre, les ronflements sinistres de mon coéquipier endormi...
- Tu exagères à peine ! raillai-je.
- Comme tu dis, à peine ! Au bout de peut-être une heure ? Deux ? Je ne sais pas... Son petit frère est venu le chercher, terrorisé par de sombres cauchemars, souhaitant dormir aux côtés de son grand frère. Je lui ai donc bien volontiers cédé ma place pour aller m'installer sur ce dur siège, elle désigna le vieux fauteuil en cuir reposant dans un coin de ma chambre, j'ai continué de travailler pendant un petit moment jusqu'à, moi aussi, rejoindre les bras de Morphée.
- Tu ne pouvais pas tout simplement rentrer chez toi ? hasardai-je.
- Tu voulais vraiment que j'affronte ce froid ? Tu es bien cruel !
- Tu l'as bien affronté pour venir jusqu'ici !
- Qui te dit que les températures étaient les mêmes ?
- Et qui te dit qu'il faisait plus froid ?
- Mes talents pour la météorologie !
- Quel humour !
- J'avoue que mon humour est plutôt fin, Monsieur Lewis.
- Pourquoi est-ce que tu m'appelles Lewis ?
- Tu n'as jamais remarqué que ton nom de famille à l'envers formé le prénom Lewis ? C'est assez cocasse vu que mon prénom est Alice !
- Quel est le rapport entre Lewis et Alice ?
- Alice au pays des merveilles voyons !"
Je la regardais sans comprendre tandis qu'elle me dévisageait comme une créature sortie d'on ne sait où. La jeune fille posa sa tête dans le creux de sa main, visiblement ennuyée par mon manque de culture sur Alice au pays des merveilles.
"Tu veux bien m'expliquer ? demandai-je quelque peu irrité.
- Lewis Caroll est tout simplement l'auteur d'Alice au pays des merveilles ! Ne me dis pas que tu pensais qu'Alice était l'uvre de Disney ?
- Cette discussion n'a aucun sens !
- Pourquoi ? Tu évites le sujet.
- Tout simplement parce qu'il ne m'intéresse pas.
- Menteur ! Tu veux juste cacher ton manque de culture.
- Si cela peut te faire plaisir !
- Oui, énormément.
- Grand bien te fasse !
- Tu es si dédaigneux... C'est insupportable !
- Un gars dédaigneux qui t'a laissé dormir chez lui.
- Cela montre juste que tu es doté d'une bonne conscience... ou que tu m'apprécies.
- Alors que ça fait quelques semaines que je te connais ? Désolé de te décevoir Alice mais je ne suis pas ce genre de personne à m'attacher rapidement aux gens.
- Ah bon ?"
Elle tourna sa tête vers moi, ses yeux bleus me scrutant de haut en bas, comme pour analyser mes paroles. Ses lèvres se redressèrent légèrement en un sourire amusé tandis qu'une étincelle malicieuse naquit dans ses iris cobalt. Lentement, elle approcha son visage du mien, jusqu'à ce que son souffle chaud effleure de nouveau mes joues, comme lors de mon sommeil. Je sentis un étrange frisson parcourir mon dos, soudain mal à l'aise, devant cette demoiselle qui affichait toujours son sourire narquois. Elle était proche, beaucoup trop proche. Je passais ma main dans mes cheveux, nerveux, ne sachant que faire pour l'ignorer. Et puis, Alice s'écarta brusquement et partit dans un éclat de rire intense qui résonna dans ma chambre, clair et enfantin, elle dévoilait ses dents blanches sans gêne, se riant sûrement de ma réaction. Quelque peu irrité, je poussais un petit sifflement exaspéré, attendant avec impatience que ses gloussements cessent. Elle était horripilante, agaçante, mais, étrangement, je ne ressentais aucunement l'envie ou le besoin de défouler ma colère sur elle, me contentant simplement de quelques regards courroucés à son égard, comme un enfant exprimant son mécontentement à ses parents.
"On devrait commencer à se préparer ! s'exclama-t-elle soudainement, je ne voudrais pas être en retard et j'imagine que toi non plus."
La jeune fille m'adressa un clin d'il avant de se lever et de quitter ma chambre silencieusement. Il était impossible de la cerner, je n'arrivais pas à comprendre ce qui se passait dans son esprit. Je tournai la tête, mon petit frère était toujours là, dormant paisiblement, lui aussi devait aller à l'école... Je le réveillais donc doucement et tandis qu'il émergeait du monde des rêves, je me mis à ranger ma chambre, mes crayons et feuilles éparpillés, ma trousse à moitié vide... Mon manque d'inspiration de la veille m'avait fait créer un désordre monstre ! D'ailleurs, je ne savais même pas si Alice avait réellement travaillé pendant que je dormais, c'était bien son excuse pour être venue chez moi après tout... Cherchant la fameuse feuille devant laquelle j'étais resté de longues minutes à chercher des idées, je la trouvais finalement, perdue dans les draps de mon lit, à moitié chiffonné. La dépliant soigneusement, je découvris, non sans étonnement, qu'elle avait dessiné un simple papillon. L'insecte de crayon gris avait les ailes déployées, on ne voyait pratiquement que cela même si l'on pouvait tout de même discerner sa tête hideuse et quelques unes de ses pattes. Et je devais bien l'avouer, elle dessinait très bien. Les ailes de l'animal étaient très détaillées, légèrement craquelées sur les bordures comme pour montrer sa fragilité et arborant des motifs plus sombres et complexes sur le dessus. Mais malgré sa dextérité pour le dessin, je ne comprenais pas vraiment le rapport avec la thématique de Monsieur Anderse. Curieux, j'abandonnai donc Matthis à son éveil pour descendre rejoindre Alice. Descendant rapidement les escaliers, je déclarai en sautant sur la dernière marche :
"Tu peux m'expliquer le rapport entre un papillon et l'amour Alice... ?"
J'avais redressé la tête, le rez-de-chaussée se composait de la cuisine et du salon. Je m'attendais à trouver la jeune fille blonde dans la cuisine, mais elle n'était nulle part. L'appelant une fois encore, ce fut le silence qui me répondit. J'avançais dans le couloir principal, le parquet grinçant sous mes pieds. Je remarquais alors que, sur la petite table de la cuisine, il y'avait un petit morceau de papier. Je l'attrapais donc et l'ouvris, parcourant les quelques mots écrits dessus rapidement.
"Je suis rentrée chez moi pour me trouver une tenue plus convenable pour le lycée. On se retrouve à l'arrêt de bus, prends soin de mon papillon Monsieur Lewis !"
J'esquissai un léger sourire, cette fille n'était vraiment pas comme les autres.
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L'effet papillon
Teen FictionComme quoi, une simple poignée de main peut tout changer. Ethan a 17 ans et étudie au lycée Baudelaire. Jeune homme solitaire et peu studieux, il rêve depuis des années de pouvoir vivre de sa passion : le dessin. Il trouve la vie terne, devant faire...