Il était midi. J'avais finalement décidé de retourner au lycée, ne serait-ce que l'après-midi. La cafétéria était pleine, comme d'ordinaire à cette heure-ci, et j'avais peiné à trouver Matthieu dans cette foule compacte qui s'entassait dans la pièce pourtant spacieuse. Heureusement pour moi, Louisa ne déjeunait pas à la même heure que nous, je préférais éviter de subir ses remontrances incessantes sur mon comportement de ce matin pour le moment... J'avais finalement trouvé la tête brune de mon ami, attablé avec quelques garçons de son équipe. Mon plateau à la main, je soupirai, je n'aimais pas les équipiers de Matthieu. Trop bruyants, trop prétentieux, trop cons... Hélas, je n'avais que deux options : faire abstraction de ses camarades et rejoindre Matthieu ou manger seul... La deuxième option ne me dérangeait pas plus que cela mais mon regard croisa celui de mon ami qui me fit signe de le rejoindre. Me retenant de soupirer une fois de plus, je m'assis donc à côté de lui après qu'il ait écarté un de ses coéquipiers et commençai à déjeuner en silence. Le rugbyman sembla attendre quelques instants puis finit par déclarer :
"Ça va vieux ?
- Oui, très bien. "
Je lui jetai un bref coup d'oeil et vis dans son regard noisette qu'il semblait gêné, comme-ci il ignorait comment s'adresser à moi. J'arquai un sourcil, j'avais parfois l'impression qu'il avait peur de mes réactions et cela avait tendance à m'agacer légèrement. Je posai donc ma fourchette et croisai les bras sur ma poitrine.
"Tu as quelque chose à me demander ? hasardai-je.
- Non, pas spécialement, je m'inquiétais un peu pour toi, on sait jamais trop ce qui te passe par la tête quand tu piques tes crises de nerfs.
- Je suis pas con non plus, j'allais pas me jeter sous les roues d'une voiture, rétorquai-je.
- On sait jamais Ethan. Mais Julien commence sérieusement à m'emmerder, jusque là j'ai pas dit grand chose mais si ça continue je crois que je vais m'en mêler.
- C'est pas toi qui disais pas plus tard que ce matin d'ailleurs que cela ne servirait à rien de lui péter la gueule ?
- Y'a que les cons qui changent pas d'avis, dit-il en souriant
- Vous parlez de Julien Malter ?"
Je tournai mon regard vers celui qui venait de rejoindre la conversation. Il s'agissait d'un des camarades de Matthieu, Dorian, qui était d'ailleurs dans ma classe. C'était un garçon plutôt sympathique mais qui changeait de copine chaque semaine, "des histoires de cul sans lendemain !", le nombre de fois où je l'avais entendu se vanter de ses conquêtes en classe... Néanmoins, son intérêt soudain pour notre conversation attisa ma curiosité. Je secouai donc positivement la tête pour répondre à sa question et son visage s'assombrit aussitôt.
"Quel connard ce mec ! s'exclama-t-il, j'ai failli me battre contre lui pour une meuf y'a trois jours.
- Le pire c'est que la meuf était vraiment dégueulasse, déclara un autre des rugbyman.
- Ca c'est parce que t'as pas vu son cul." répondit Dorian en souriant.
Sa phrase fut ponctuée de quelques rires. Personnellement, je trouvais cela plus stupide qu'autre chose mais je préférais m'abstenir de tout commentaire.
"Il t'a fait quoi cet enfoiré ? me demanda-t-il, il t'a piqué ta copine ?
- Non, il m'a brisé les côtes."
Le garçon blond siffla entre ses dents, ses yeux sombres papillonnant.
"Et t'attends quoi pour aller lui en coller une ?
- Putain mec, t'es capable de réfléchir autrement qu'avec tes poings ? dit Matthieu en levant les yeux au ciel.
- Ah ça t'inquiète pas pour moi ! un petit sourire se dessina au coin de ses lèvres, je pense que les filles le savent bien...
- T'es con !"
Matthieu se mit à rire tandis que je roulai des yeux, je me souvenais mieux pourquoi je ne lui parlais pratiquement jamais en cours...
"Non plus sérieusement, reprit Dorian, tu peux pas te laisser faire par ce connard, faut t'endurcir.
- Tu crois que je suis une tapette ? C'est juste que quand on se met à trois contre toi, j'ai pas pu faire autrement que de me faire casser la gueule.
- Ils se sont mis à trois sur toi ? Quelle tafiole ! T'inquiète pas... Evan ? Eva ? Evian ?
- Ethan...
- Ouais Ethan, tu trouveras le moment pour lui faire bouffer le sol."
Il m'adressa un clin d'oeil puis se détourna aussitôt pour s'immiscer dans une autre conversation. Je passai une main dans mes cheveux pour les ébouriffer, préférant effacer le plus vite possible cette conversation de mon esprit. Je ne voulais plus penser à cet abruti de Julien et Matthieu ne semblait pas vouloir s'étaler sur le sujet. C'est ce que j'appréciais chez lui, il savait quand se taire ou éviter un sujet sensible, je me demandais parfois comment pouvait-il supporter les autres membres de son équipe, tellement stupides... Il avait toujours su s'adapter aux autres, je pense que c'est pour cela que tout le monde l'appréciait, il n'était pas une personne compliquée, facile à vivre et sur qui l'on pouvait compter. Il passa une main dans ses cheveux châtains et m'adressa un sourire. Son visage s'illumina alors soudainement et il déclara :
"Comme t'es parti ce matin j'ai pas pu te dire !
- Quoi donc ? demandai-je curieux.
- Mes parents ont enfin cédé, j'ai la maison pour moi le week-end prochain."
J'haussai les sourcils, vraiment surpris. Le père de Matthieu n'était que peu souvent chez lui à cause de son travail et sa mère était une femme adorable mais possédant beaucoup de principes. Ils dinaient à une heure précise, devaient respecter un couvre-feu le soir, ôter leurs chaussures en rentrant, n'avaient plus le droit au téléphone après le dîner... Matthieu s'était de nombreuses fois disputé avec sa mère à cause de cela, puis il avait appris à bien mentir et à cacher certaines choses à sa mère avec le soutien de son petit frère. Personnellement j'appréciais beaucoup sa mère. Madame Cila avait toujours été très gentille avec moi lorsque je venais chez elle. Elle avait au moins le mérite d'être là pour ses enfants contrairement à ma mère...
"Tu m'expliques où ta mère et ton frère vont aller ? demandai-je pour éviter de penser à ma mère.
- Ils partent tous les trois à Paris pour le week-end, j'avais le choix entre partir avec eux ou avoir la maison pour moi pendant deux jours, le choix était vite fait, il sourit, j'ai dû négocier mais elle a fini par céder, mon père a suivi.
- Et que vas-tu faire pendant tes deux jours de liberté ?
- Une putain de soirée samedi soir, j'en ai parlé à Louisa, elle est partie dans des plans de fou comme d'habitude.
- Du grand Louisa ! riai-je.
- Exactement ! Du coup elle passe l'après-midi avec moi pour m'aider à tout préparer, tu veux venir ?
- Si ca peut t'aider à t'avancer."
Je n'aimais pas particulièrement les soirées, trop de monde, trop de bruits... Mais j'allais laisser de côté mes petites préférences pour faire plaisir à Matthieu, je n'allais tout de même pas rater sa première et certainement dernière soirée.
"Cool ! Tu manges chez moi avec la Soviétique, je souris en entendant le sobriquet habituel qu'il venait d'employer pour désigner Louisa, on fera les courses dans l'après-midi puis on se préparera.
- Ca va.
- Et tu peux emmener ta petite blonde si tu veux."
J'arquai un sourcil et le dévisageai quelque peu surpris. Il arborait un léger sourire amusé, ses yeux marron clairs brillant.
"Tu parles d'Alice ?
- Y'a beaucoup de petite blonde qui te colle en ce moment ?"
Etait-il en train de se foutre de moi ? Je n'appréciais pas du tout le petit sourire en coin qu'il affichait. Je ne savais pas trop ce qu'il était en train de s'imaginer, mais il n'y avait aucun doute, cela m'agacerait certainement de savoir ce qu'il se passait dans sa tête.
"Je sais pas ce que tu t'imagines mais Alice n'est qu'une... simple connaissance.
- T'es drôlement proche d'elle pour une simple connaissance, ricana-t-il.
- T'es spécialiste des relations humaines toi maintenant ? ironisai-je.
- Pas la peine d'être agressif ! Je suis content pour toi que tu te rapproches d'une autre fille, ça montre que tu arrives enfin à oublier Anna."
Je pinçai les lèvres à l'entente du prénom de mon ancienne petite amie. Matthieu sembla remarquer ma réaction car il eut soudain un sourire crispé. Je ne lui en voulais pas, il avait raison sur un point après tout, il allait bien falloir que je finisse par oublier la demoiselle rousse. Avant qu'un de nous deux ait pu prendre de nouveau la parole, la sonnerie retentit, il était temps de reprendre les cours. Je saluai donc mon ami et quittai la cafétéria après avoir préalablement vider mon plateau repas. Les couloirs se remplissaient petit à petit, tandis que le brouhaha des lycéens montaient crescendo. Je soupirai, l'après-midi allait être longue, je n'avais qu'une hâte, assistait au cours de Monsieur Anderse et rentrer le plus vite possible chez moi.La sonnerie annonçant la fin de mon interminable cours de mathématiques retentit enfin dans la salle de classe. Après avoir écouté pendant deux heures ma professeur nous rabâchait les oreilles sur les fonctions polynômes ou d'autres termes obscures se rattachant à la matière algébrique, je m'étais précipité en dehors de la salle de cours en entendant le son libérateur. J'allais enfin retrouver le seul cours que j'appréciais vraiment. En arrivant devant la salle, je fus surpris de voir le monde qui s'entassait devant la porte, avant de me rappeler que nous partagions désormais nos heures du vendredi après-midi avec la terminale littéraire participant au projet. J'entrepris alors de chercher Alice du regard et la trouvai bien rapidement, assise contre le mur, les yeux rivés sur son petit carnet de cuir. Visiblement très concentrée, ses sourcils se fronçaient en lisant, lui donnant une mine boudeuse semblable à celle des enfants. Je me surpris à sourire légèrement. Elle se redressa alors subitement, son regard croisant presque instantanément le sien. La demoiselle m'adressa un petit sourire avant de se relever en voyant arrivé notre professeur qui s'empressa d'ouvrir la salle de classe.
"Hâtez-vous jeunes gens ! Le temps est précieux nous ne devons pas le gaspiller ! Asseyez-vous avec votre ou vos partenaires et commencez à travailler !"
J'appréciais énormément Monsieur Anderse, il n'était pas formaté comme les autres professeurs et avait cette façon de s'exprimer si particulière, c'était le seul enseignant qui me donnait envie d'assister à ses cours. Je m'exécutai donc rapidement et pris place sur l'une des tables, bientôt imité par Alice. Sortant quelques feuilles encore vierges et un simple crayon, je surpris la jeune fille qui me fixait étrangement, le visage fermé, semblant attendre quelque chose.
"Qu'est ce que tu as ?
- Où est mon papillon ? demanda-t-elle, j'espère que tu en as pris soin !"
J'arquai un sourcil, était-elle vraiment sérieuse ? A en croire sa mine fermée, oui. Je n'avais aucune idée de l'endroit où j'avais laissé son dessin, je l'avais peut-être jeté... J'espérais bien que non, qui sait la réaction qu'elle pourrait avoir. Je passai une main dans mes cheveux, Alice attendait toujours, les bras croisés sur sa poitrine.
"Je l'ai laissé chez moi, je crois... soupirai-je.
- Tu es sur ? Laisse-moi voir dans ton sac !"
Sans que je ne puisse dire quoi que ce soit, elle ramassa mon sac au sol et entreprit de le vider consciencieusement, dépliant chaque feuille dans l'espoir de voir son fameux papillon. Je poussai un long soupir, attendant qu'elle ait fini sa petite inspection, jusqu'à ce qu'elle sorte mon carnet et commence à le feuilleter.
"Rends-moi ça !"
Je lui arrachai le petit cahier des mains, la fusillant du regard mais la jeune fille m'ignora royalement, continuant de chercher. Les feuilles s'entassaient sur la table, elle avait même sorti mes cahiers de cours ! Finalement, alors qu'Alice dépliait une ultime feuille, son visage s'illumina en reconnaissant son dessin, elle me sourit
"Tu vois que tu l'avais !
- Ouais ben compte pas sur moi pour ranger ton bordel, sifflai-je.
- Oh tu es bien grognon Monsieur Lewis ! ria-t-elle, ne t'inquiète pas, je rangerai tout ça, commençons à travailler !"
Je secouai la tête, cette fille me surprendrait toujours... Mais elle avait raison, ce n'était pas avec un ridicule papillon que nous allions montrer une belle preuve d'amour.
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L'effet papillon
Teen FictionComme quoi, une simple poignée de main peut tout changer. Ethan a 17 ans et étudie au lycée Baudelaire. Jeune homme solitaire et peu studieux, il rêve depuis des années de pouvoir vivre de sa passion : le dessin. Il trouve la vie terne, devant faire...