Chapitre XIV

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Il faisait étrangement sombre dans la maison d'Alice, du moins, c'est l'impression que j'eus en entrant. Cette impression devait certainement être accentuée par l'étroitesse de l'entrée, juste assez grande pour qu'ils tiennent tous les trois. L'entrée donnait sur un couloir, beaucoup plus large, menant directement à un escalier en colimaçons, un agencement de maisons particuliers où toutes les portes du rez-de-chaussée étaient restées closes. Alice nous invita à poser nos manteaux sur l'objet prévu à cet effet et d'ôter également nos chaussures. Elle nous indiqua alors l'escalier que nous prîmes tous les trois. Le bois grinçait sous nos pas, brouhaha agaçant qui cessa cependant bien vite.  L'escalier donnait directement sur le salon, salle à manger, aux couleurs très épurées et aux meubles modernes, un contraste saisissant entre le rez-de-chaussé et le premier étage. L'agencement de la maison était selon moi assez particulier mais d'une certaine manière, il était en concordance avec la personnalité de la demoiselle.
"Matthis, ma petite sur est dans sa chambre si tu veux aller jouer avec elle." déclara alors Alice.
Mon petit frère était resté derrière moi, accrochant un pan de mon sweat en observant avec curiosité son environnement. Lorsqu'Alice lui proposa cela, il secoua vivement la tête, visiblement gêné lui aussi de se retrouver ici. Je posai ma main sur ses cheveux amusé qu'il semble subitement si timide.
"Pourquoi tu ne veux pas canaille ? lui demandai-je.
- Parce que je la connais pas... chuchota-t-il, et j'ai pas envie de devenir bizarre comme toi tout ça à cause d'une fille."
Je manquai de m'étouffer avec ma salive, je jetai un bref regard à Alice, qui ne semblait pas l'avoir entendu, le regard dans le vague. Je m'accroupis, me mettant à la hauteur de Matthis qui trépignait d'un pied sur l'autre, la tête basse. Du bout des doigts, je l'obligeai à me regarder, me retenant de sourire en découvrant sa mine boudeuse.
"S'il te plaît, Matthis, je rajoutai à voix basse, promis demain on va dans la forêt si tu veux bien me faire plaisir."
Il soupira, ses yeux s'agitant rapidement, ma proposition semblait fortement l'intéresser. Je souris lorsque finalement il se tourna vers Alice et lui demanda de lui montrer la chambre de sa petite sur. Alice lui indiqua l'escalier et ils redescendirent donc tous les deux.
"Elle s'appelle comment ? questionna mon petit frère.
- Elise, elle n'a que deux ans de plus que toi, elle sera gentille avec toi ne t'inquiète pas."
J'entendis que l'on toquait à une porte, une nouvelle voix s'élevant. Les laissant discuter quelques instants, je me mis à observer la pièce où je me trouvais. Ce contraste modernité et obscurité avec le rez-de-chaussé me surprenait toujours autant. Je n'étais pas particulièrement adepte de la modernité mais il fallait avouer que l'endroit était très bien décoré. Les murs étaient peints en gris clair et en blanc, des couleurs classiques s'accommodant avec le mobilier. Le coin salon était recouvert d'un épais tapis gris sombre où était posé dessus une table basse en verre et un grand canapé de cuir noir et en face, une télévision. Le coin salle à manger juste derrière se composait d'une grande table rectangulaire semblant être de la même gamme que la table basse et de chaises noires dont les dossiers étaient vertigineusement grands. Juste à côté, je pouvais discerner le comptoir de la cuisine ouverte.

Le grincement des marches me tira de ma contemplation tandis que les cheveux blonds d'Alice réapparaissaient. Je fus alors frappé par l'aspect négligé qu'elle avait, moi qui l'avais toujours connue comme prenant soin d'elle... Ses cheveux étaient emmêlés et ternes alors que je l'avais toujours vue avec sa chevelure parfaitement peignée et brillante. De profondes cernes creusées le dessous, des marques encore plus voyantes que lorsque je l'avais vue dans le bus, juste avant la soirée de Matthieu et ses yeux étaient toujours aussi rouges, comme injectés de sang. Elle sembla remarquer que je la détaillais avec un peu trop d'insistance car elle fronça les sourcils et plaça ses mains sur ses hanches.
"Me serais-je subitement transformée en une créature monstrueuse pour que tu m'observes ainsi ?
- Tu as l'air très fatiguée, répondis-je.
- Ce n'est pas qu'un air, je le suis.
- Pourquoi ?
- Le lycée, les cours, le bac de français à la fin de l'année...
- Alice, il y'a forcément autre chose.
- Ah oui ? Quoi donc ? Eclaire-moi !"
Je crus discerner une lueur de défi dans son regard de saphir tandis que son visage se peignait en une expression que je ne lui connaissais pas, de la colère ? De la peur ? Non. Cela ressemblait étrangement à de la méfiance. A cet instant précis, Alice me faisait penser à un animal, une biche, apeurée, se recroquevillant face au loup. J'étais donc le loup ? Cette image résonna étrangement dans mon esprit, pourquoi rien ne semblait simple avec elle ?
"Ca fait une semaine que tu ne donnes plus de nouvelles, continuai-je.
- Je te manque tant que ça ?
- Non m...
- Non ? Alors pourquoi es-tu venu ?
- Parce qu'on doit parler !
- C'est ce que l'on fait là, même si ce n'est pas très productif.
- Alice laisse-moi parler !" m'emportai-je.
Elle planta son regard dans le mien, avant de finalement soupirer et s'affaler sur le canapé.
"Je ne te comprends pas...
- Que veux-tu comprendre ? demanda-t-elle, je ne suis pas une énigme à résoudre !
- Si ! C'est exactement ça ! En début d'année tu n'arrêtais pas de vouloir me parler, à rester avec moi, me cassant les oreilles dans le bus même quand j'avais mes écouteurs. Tu as mangé à plusieurs reprises avec moi et mes amis, tu m'as suivi quand j'ai quitté la table à cause de Julien, tu t'es pointée à presque minuit devant chez moi pour travailler et...
- Et quoi ?
- Tu m'as embrassée à la soirée de Matthieu.
- Ethan, j'avais bu, arrête de te faire des films, soupira-t-elle, tu n'es pas mon ami. Arrête de croire des choses, arrête de croire que je m'intéresse à toi juste parce que pour une fois, quelqu'un a été gentil avec toi et que pour une fois on ne t'a pas pris pour un gars complètement paumé qui passe sa vie à dessiner et qui pense avoir un avenir en n'allant en cours une fois par mois. Tu es un mec comme un autre qui pense avoir des problèmes tellement plus importants et graves que les autres. Tu es un ado stupide, égocentrique et agaçant, tu ressembles à un petit garçon à qui on a confisqué son jouet, qui tomberait amoureux de la première jolie fille à la télé. C'est pathétique Ethan mais c'est ce que tu es, pathétique, alors maintenant va t en de chez moi et fous moi la paix."
Sa voix s'était brisée sur ces derniers mots et moi, j'étais là, planté devant elle, ne sachant que lui répondre, que dire. Je ne savais même pas ce que ça me faisait, d'avoir entendu ça, sortant de sa bouche, ces mots cruels. Elle ne ressemblait plus du tout à une biche effrayée mais à une vipère, un vil serpent qui venait de cracher l'entièreté de son venin sur moi. Mais étrangement, ce venin ne semblait pas faire effet immédiatement sur moi car, à vrai dire, je ne savais pas trop ce que je ressentais. Je me sentais incroyablement vidé, de tout, mon esprit ressemblait à une page blanche, sur laquelle il était impossible d'écrire quoi que ce soit. Je ne voyais même plus Alice devant moi, était-ce seulement elle qui venait de parler ainsi ? L'avais-je à ce point mal comprise ? Je ne savais plus quoi penser, je ne savais même pas si ce qu'elle disait était vrai ! C'était étrange, d'entendre des paroles aussi crues sortir de la bouche de cette fille, même les mots de Julien me semblaient moins dur à entendre.




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