Chapitre VII

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Le claquement vif de la fenêtre de ma chambre me fit sursauter sur mon lit. Hypnotisé par la feuille de papier vierge qui gisait devant moi depuis quelques minutes déjà, le silence ainsi interrompu me tira de ma contemplation en me faisant tressaillir. Relevant la tête, je posai mon regard sur l'unique fenêtre de ma chambre, circulaire et laissant passer l'air froid extérieur. Grommelant, je me levai pour la refermer, frissonnant en sentant le vent froid caresser ma peau, elle s'ouvrirait certainement de nouveau dans un petit moment à cause des bourrasques. M'affalant sur ma couchette, j'empoignai mon crayon et recommençai à observer ma feuille, toujours aussi immaculée. L'inspiration ne semblait vouloir me faire aucun signe de vie. À mon plus grand désarroi, je n'avais toujours aucune idée de ce que j'allais faire pour le projet artistique cette année. Pratiquement chaque groupe avait déjà commencé les esquisses de leur projet la semaine dernière, et cette semaine. Ayant été absent et ne sachant que faire, je n'étais pas très avancé. La plus belle preuve d'amour ? Sérieusement ? Monsieur Anderse aurait pu trouver mieux... Tapotant sur la feuille avec le bout de mon crayon, je me torturai le cerveau pour trouver ne serait-ce qu'un début d'idée, une esquisse de quelque chose. Je me passai la main sur le visage en soupirant et me mis à marmonner quelques mots intelligibles, peut-être que réfléchir à voix haute me permettrait d'avoir l'idée du siècle... Mes grommellements furent de nouveau interrompus par le claquement de la fenêtre. Je me levai en grognant et, m'apprêtant à refermer machinalement la fenêtre, je fus surpris de voir qu'elle était en fait close. Je fronçai les sourcils, mon imagination me jouait des tours maintenant ! Je devais être fatigué, il était bientôt minuit déjà. Je fis donc volte-face pour retourner dans mon lit mais le claquement retentit de nouveau. J'ouvris la fenêtre, inspectant la poignée, la vitre, le contour boisé pour voir ce qui pouvait bien être à l'origine de ce bruit, il n'y avait rien. Je m'apprêtais à la refermer lorsque du coin de l'œil, je vis une ombre noir fusant vers moi. L'esquivant au dernier moment je m'aperçus qu'il s'agissait d'un caillou, petit, mais qui aurait pu me faire une belle bosse s'il avait atterri sur mon front. Perplexe, je passai donc la tête par la fenêtre pour découvrir l'imbécile qui avait jeté cette pierre. Scrutant l'obscurité et plissant les yeux, je réussis finalement à distinguer une silhouette menue.
"Hey ! C'est toi l'imbécile qui s'amuse à jeter des pierres sur ma fenêtre ?" demandai-je à cet inconnu d'une voix basse.
Un rire léger me répondit. J'arquai un sourcil devant cette réaction peu conventionnelle. Je tournai la tête, cherchant mon téléphone du regard, il gisait sur mon lit, trop loin pour que je puisse l'attraper. Soupirant, je me remis à observer l'extérieur, mais la silhouette avait disparu. La bouche entre-ouverte, je m'apprêtais à refermer la fenêtre, légèrement agacé lorsqu'un léger sifflement attira mon attention. Baissant les yeux, je remarquai alors que la personne s'était déplacée juste en-dessous de ma fenêtre et je pouvais désormais voir son visage.
"Alice ?! Qu'est ce que tu fous là ?"
La petite blonde me regardait tout sourire, ses cheveux dorés ramenés en un chignon fouilli et vêtue d'un ample sweat gris, de chaussettes montantes et de baskets. Je la voyais agiter frénétiquement ses jambes et froncer les sourcils.
"Tu vas choper la crève habillée comme ça ! rouspétai-je.
- Tu te soucis vraiment de ma santé n'est-ce pas ? C'est touchant merci."
Comme pour illustrer ma mise en garde, elle se mit à éternuer et à se frotter les yeux, certainement irrités par l'air glacial de l'extérieur.
"Qu'est-ce que je t'avais dit ! On sort pas en pyjama avec des températures aussi basses.
- Et bien ouvre moi et je n'aurai plus froid."
Elle m'adressa un clin d'oeil et sourit malicieusement avant d'éternuer de nouveau. Je levai les yeux au ciel, ma mère ne se rendrait compte de rien, certainement assoupie dans sa chambre et je ne connaissais pas une personne ayant le sommeil plus lourd que Matthis. Je lui intimai donc de rejoindre la porte d'entrée, pas question qu'elle reste plantée dehors exposée à ce vent glacial puis refermai la fenêtre. Je quittai ma chambre, descendant les escaliers doucement pour éviter de faire grincer les marches jusqu'à atteindre la dite porte et de l'ouvrir. L'adolescente se glissa aussitôt à l'intérieur, se frictionnant les bras pour se réchauffer. D'un signe de la main, je l'incitai à me suivre pour regagner ma chambre, elle s'affala aussitôt sur mon lit et se recroquevilla, grelottante.
"T'es pas complètement folle de sortir comme ça ? Et de jeter des pierres sur ma fenêtre ?! chuchotai-je agacé, bordel qu'est-ce que tu veux à la fin ?
- Tu n'es pas au courant ?"
Elle se redressa, penchant la tête sur le côté comme j'avais remarqué, elle avait l'habitude de le faire. J'arquai un sourcil, attendant qu'elle continue mais Alice se contenta de rire.
"De quoi tu parles ?
- Du projet d'art, tu n'es pas au courant que nous sommes ensemble ? demanda-t-elle.
- Si, bien sûr. Putain Alice me dit pas que t'es venue jusqu'en bas de chez moi en pyjama, par ce froid, en pleine nuit, pour me dire ça ?
- Non, je voulais que l'on commence à travailler le sujet."
Je la dévisageai, bouche-bée. Se foutait-elle de moi ou était-elle vraiment sérieuse ? À en croire son expression teintée d'innocence, elle ne plaisantait pas. Je me passais une main sur le visage en poussant un profond soupir, cette fille était vraiment étrange. Je lui jetai un regard, la demoiselle semblait attendre une réponse de ma part, ses yeux bleus plantés sur moi, aussi lisses et paisibles qu'une onde d'eau. Je remarquai qu'elle tremblait moins, emmitouflée dans son sweat, ses jambes ramenés contre sa poitrine, elle avait même gardé ses chaussures qui saliraient certainement les draps de mon lit. On aurait dit une enfant qui quémandait une sucrerie, attendant en trépignant le verdict de ses parents.
"Alice tu sais qu'il est plus de 23 heures tout de même ? lui rappelai-je.
- Et alors ? Tu étais bien en train de travailler non ? elle désigna ma feuille d'un mouvement de tête, pas très productif tout ça !"
Je lui jetai un regard noir auquel elle répondit par un éclatant sourire. Roulant des yeux, je passai une main dans mes cheveux avant de déclarer :
"Tu comptes rester jusqu'à quelle heure ?
- Je ne sais pas, répondit-elle dans un haussement d'épaules, tu verras bien !"
Je soupirai à sa remarque, je ne comptais pas faire une nuit blanche pour son bon plaisir ! Elle ne sembla nullement remarquer mon agacement, ayant positionné ma feuille toujours vierge devant elle et s'étant servie dans ma trousse pour prendre un crayon. On pouvait le dire, Alice ne manquait vraiment pas de toupet.
"Tu te rends quand même compte que tu t'es invitée chez moi à presque minuit pour faire un putain de devoir ?
- C'est toi qui m'as laissée rentrer, répliqua-t-elle.
- Tu étais morte de froid !
- Et alors ? Comme tu me l'as souvent dit nous nous connaissons à peine, c'est que tu as de la considération pour moi pour m'avoir invitée !"
J'abandonnais, elle était bien trop têtue pour que je puisse espérer avoir raison. Je lui adressai un regard noir qu'elle ignora tout bonnement, griffonant sur sa feuille. Je m'affalai sur mon lit, contemplant le plafond blanc, autant la laisser travailler seule, un éclair de génie traverserait peut-être son esprit... Les minutes passèrent sans que ni elle, ni moi nous décidâmes d'ouvrir la bouche. J'entendais la pointe de son crayon agressé la feuille de papier, mais rien de plus. Et, sans que je ne m'en rende compte, mes paupières commencèrent à se fermer, le sommeil me rattrapant. Je tentai de lutter quelques instants avant de finalement succomber aux bras de Morphée, épuisé.

Les légères secousses agitèrent mon corps. Essayant d'abord de les ignorer, ces agitations finirent par me tirer de mon sommeil, me faisant ouvrir doucement les yeux. Je découvris le visage de Matthis, penché sur moi, ses grandes iris bleues m'observant avec étonnement. Je me redressai mollement, frottant mes yeux.
"Il est quelle heure ? demandai-je à mon petit frère dans un bâillement.
- Je sais pas... Thanou je peux dormir avec toi ? J'ai fait un cauchemar..."
Il joignit ses mains comme pour prier, le regard implorant. Je souris tendrement et opinai d'un mouvement de tête. Il sauta littéralement sur mon lit et se blottit contre moi, ses mèches brunes me chatouillant le nez. Je caressai doucement ses cheveux, l'esprit encore embrumé par le sommeil. Matthis ne tarda pas à s'endormir, son corps se soulevant légèrement au rythme de sa respiration paisible. J'admirais sa capacité à s'endormir aussi rapidement, nullement perturbé par l'extérieur. Je souris tendrement, je n'avais aucune idée de l'heure qu'il était, peut-être étais-je déjà en retard au lycée... Bercé par la respiration de mon frère, je finis une nouvelle fois par le rejoindre dans le monde des rêves.

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