Chapitre 2

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J'eus besoin d'une dizaine de jours, voir un bon mois pour me faire à l'idée que la femme avec qui je vivais depuis plusieurs années et qui avait complètement bouleversé ma vie, venait de lui donner une toute nouvelle direction qui me plaisait beaucoup moins. J'essayais de ne pas trop la fixer. J'avais du mal à y croire si bien que j'avais revu plusieurs fois les vidéos. En regardant ces écrans je n'avais aucun doute, mais en regardant Emma à côté de moi, c'était invraisemblable.

Doucement, je commençais pourtant à prétexter plus de travail le soir. J'avais aussi du mal à discuter des dossiers Aftagan. L'un des membres de notre équipe avait proposé une opération visant à s'infiltrer parmi les clandestins qu'ils saignaient jusqu'à l'os pour un passage dans une embarcation de fortune depuis le continent voisin pour débusquer les passeurs. Je n'avais pu faire que désapprouver sans donner d'explications. L'opération paraissait bonne mais Emma en savait tout. C'était voué à l'échec. Je pouvais continuer à manquer des livraisons d'armes ou à tenter des descentes dans des bars qu'on soupçonnait de maison close mais je ne pouvais pas envoyer mes hommes se faire tuer. Je jouai de mon autorité pour esquiver les explications même si c'était peine perdue face à Emma. Je passai la soirée à lui soutenir que les risques de noyades étaient trop grands. Elle ne semblait pas convaincue. Ma seule issue fut de lui proposer un verre pour se détendre. Je doublai ma dose d'alcool pour rester dans mon rôle de mari en oubliant qui elle était.

J'avais l'impression d'être en mission d'infiltration au sein de mon propre service. Je renvoyais la plupart des dossiers Aftagan sur d'autres équipes. Je trouvai tout à coup un grand intérêt à tous les autres clans mafieux mais en voyant Emma mettre toute son efficacité à essayer de les coincer, je me demandai si c'était vraiment une bonne idée.

Le plus dur était de cacher ma méfiance. Elle finit par me demander si quelque chose me tracassait. J'inventai une histoire de rivalité entre équipes pour excuse. Je n'eus qu'un sourire en coin comme réponse.

« Il suffit d'être meilleurs qu'eux, me dit-elle, un étrange éclat dans le regard. »

Je déviai rapidement de sujet. Je n'avais pas envie de connaître ses méthodes. Mais j'étais de plus en plus mal à l'aise et je n'avais aucun doute qu'elle finirait par se douter de quelque chose si je n'arrivais pas à me reprendre. J'en avais aussi assez d'avoir peur de ma femme. Emma était peut-être Altara Ronari qui faisait régner la terreur sur tous les bas quartiers de la moitié du continent, mais les renseignements généraux étaient là pour la limiter et si possible l'arrêter. J'étais peut-être le seul à le savoir à ce jour, mais je l'avais sous la main. Je me rendis compte qu'une simple balle dans la tête et tout serait fini. Mais j'écartai cette option pour l'instant. Même si j'avais du mal à me comprendre, Emma était encore ma femme.

Je me mis à la suivre dès que j'en avais l'occasion et à fouiller dans son passé officiel. J'étais de nouveau impressionné mais cela ne pouvait pas m'étonner de la part d'Emma. Je ne trouvai la faille dans son ascendance qu'à la troisième génération avant elle. Je trouvai un historique complet sur ses parents, sa scolarité, même le dossier de grossesse complet de sa mère. Je remontais jusqu'à ses grands-parents et ses arrières grands-parents. Tout semblait vrai. Elle n'avait rien laissé au hasard. Tous les actes de la vie courante étaient présents sans faute sur un siècle d'histoire mais d'un seul coup, tout s'arrêtait. Ses arrières grands-parents n'avaient pas de parents. Je finis par trouver l'astuce. Elle avait greffé sa propre histoire sur celui d'une famille bien réelle sauf que le dernier couple était mort d'un accident de voiture sans aucun enfant. Il m'avait quand même fallu plus de persévérance que pour un dossier commun pour trouver la faille.

Quant à ses activités courantes, je finis par la suivre à toutes ses activités sportives dont elle m'avait fait l'éloge. Je découvris malheureusement qu'elles étaient toutes réelles. Je n'arrivai pas à trouver la faille cette fois. Elle ne semblait rien faire d'autres que discuter avec quelques personnes. Je soupçonnais tout le monde mais, après quelques recherches, ce n'étaient que des gens ordinaires. Cela n'avait pourtant aucun sens. Elle y passait tant de temps en plus de son travail. Elle ne pouvait pas gérer en plus son clan, pensai-je. Je ne l'avais jamais vu prendre un téléphone que je ne connaissais pas, ni même laisser un morceau de papier quelque part. J'avais même ouvert le casier qu'elle avait dans une de ces salles de sport. Il n'y avait là qu'une paire de tennis et quelques affaires. Je m'arrêtai avant de refermer la porte métallique en découvrant une photo accrochée derrière. Ce n'était rien autre qu'une photo de moi. Ce devait être un jour où nous buvions un verre en extérieur. Je fus presque choqué de voir cette photo là. Je n'avais plus grand-chose à voir avec le jeune homme heureux d'alors, en train de fouiller dans les affaires de ma femme.

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